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Vu du Pont d’ARTHUR Miller , mise en scène d’Ovo van Hove aux Ateliers Berthier jusqu’au 21 novembre

23/10/2015

1 Commentaire

 
​Génie de la mise en scène
Il est des metteurs en scène dont je n’aurai de cesse de dénoncer inlassablement les impostures mégalo- narcissiques, 
La trahison des plus grands auteurs,
L’assassinat de textes universels,
Au nom  de pseudo-relecture,
 Au prétexte de prétendues démonstrations dépoussièrantes : 
Auto- célébrations mystificatrices à destination d’un public naïf  en mal de nouveauté, 
Leur hégémonie domine les plus grandes scènes.

Au dernier festival d’Avignon un timide revirement semble s’être amorcé.
Les thuriféraires ont formulé des réserves.

Dans ces mêmes chroniques, avec la même constance, je n’ai eu de cesse de vous faire partager mon enthousiasme pour le travail de metteurs en scènes,
 Maitrisant la modernité dans toutes ses dimensions, au sens le plus noble du terme, 
A l’exclusion tout artifice superflu, de tout effet factice, 
Uniquement concentrés sur l’essentiel,
Au seul service du sens profond du texte.
 Au nombre de ceux-là : le belge Ivo van Hove.

Depuis un «  Hedda Gabler » d’Ibsen, ( décembre 2011) vu à Créteil, et en hollandais, je n’ai manqué aucune de ses venues : «  l’Avare « de Molière,  (novembre 2013)  «  Marie Stuart » de Schiller, (mars 2015)  « Antigone » de Sophocle, (mai 2015) « Après la répétition » d’après Ingmar Bergman (avril 2013) ont fait l’objet de chroniques qui vous engageaient à découvrir ces spectacles.

Enfin « entré » dans la capitale au Théâtre de la Ville en mai dernier, le voilà invité par l’Odéon, aux Ateliers Berthier avec «  Vu du Pont ».

 Arthur Miller n’est pas mon «  dramaturge de chevet » loin s’en faut.
Je n’aime ni son côté manichéen, ni son style verbeux, 
Je considère son théâtre «  démodé » de naissance.

Ivo van Hove le porte au niveau d’une tragédie grecque.

Dimension atteinte dès notre entrée dans la salle grâce à la très sobre et spectaculaire scénographie et aux lumières signées Jan Versweyveld.

Sur trois côtés, les  rangées de gradins noirs  font face à un emboitage noir profond « coiffant » toute la scène. Il se soulèvera en découvrant sur une sorte de ring blanc éclaboussant, au fond une cloison grise percée d’une porte étroite. 

L’atmosphère dramatique émane aussitôt découvertes  les vapeurs de la douche  dans lesquelles se changent, au son du Requiem de Fauré, les dockers Eddie et Louis après une rude journée de travail.

Eddie rentrera chez lui pour retrouver sa nièce orpheline qu’il a élevée au prix de grands sacrifices.
Aveuglé par son amour, Eddie refuse de voir en Catherine la jeune fille qu’elle est devenue. Il s’oppose à son désir de travailler.
Mais conformément au code de «  l’hospitalité » il accepte  d’héberger deux cousins de sa femme arrivés sans papiers.
Marco, l’aîné, n’a pas le désir de devenir américain. Il a quitté femme et enfants uniquement pour leur fournir un soutien financier impossible  à trouver en Sicile.
Rodolphe, le cadet, a l’intention de rester. Gai, enjoué, confiant en l’avenir, entre lui et Catherine l’amour naitra.

Eddie s’y opposera de toutes ses forces.
Les conseils d’un avocat lucide et compréhensif, les objurgations de sa femme Béatrice, les supplications de Catherine n’y feront rien.
Mu par un sentiment plus trouble, Eddie dénoncera les clandestins au service d’émigration.
Il paiera de sa vie cette trahison aux règles de la communauté.
Obéissant aux lois du sang et de l’honneur, Marco le tuera avant la célébration du mariage de Catherine et Rodolphe.
Ainsi la fatalité s’abattra sur la famille entière.

Dépassant de très loin l’unique dimension de drame social, Ivo van Hove insuffle au texte une profondeur et une intensité d’une force rare, confère  une humanité et une épaisseur aux personnages qui vous tient à la gorge, qui vous cloue à votre fauteuil, qui vous remue jusqu’au fond de l’âme.

Sous sa direction Charles Berling est magistral. La violence de ses sentiments, tout en retenue, acquiert une rare puissance dévastatrice.
Pauline Cheviller, ravissante Catherine, écartelée entre la peur de peiner son oncle et l’amour qu’elle découvre avec Rodolphe est aussi éblouissante de fragilité de grâce et de pathétique.
A Caroline Proust revient le rôle ingrat de la femme délaissée, complice de sa nièce qu’elle essaie de sauver, comme elle essaie de sauver ses cousins. La grisaille de son costume vient souligner la place effacée de la femme dans cette société patriarcale dont elle est l’illustration. Obstinée et résolue, elle se heurte à un bloc.

Nicolas Avinée campe avec toute l’aisance voulue, beaucoup de  nature,  le jeune homme par qui le malheur arrive. Il est un Rodolphe séduisant, résolu et courageux.

Remarquable, incarnant l’avocat Alfieri et » chœur » de la tragédie antique, Alain Fromager par  sa présence visionnaire apporte d’admirables contre-points au déroulement de l’action, à la progression du drame.

Rude et touchant à la fois, Laurent Papot est Marco, la victime d’un » code d’honneur » auquel il sacrifie son destin.
Usé par le travail, résigné à sa vie, Pierre Berrau est ce vieux docker à la canadienne élimée, le » copain » d’Eddie qui passe tel une ombre triste. Déchirant.

Monté aujourd’hui, «  Vu du pont »  se réduirait à  l’évocation du bien et du mal dans un  milieu très pauvre d’ émigrés italiens, formant une communauté fermée composée d’hommes frustres restés en marge de la modernité américaine, continuant d’ appliquer  les lois de l’honneur de leur Sicile natale.

 Non sans lien avec les propres origines du metteur en scène, né dans un petit village où un coté de la rue était occupé par les Flamands, l’autre par des émigrés italiens, le texte prend déjà une résonnance particulière dans le contexte actuel.

Mais  au de-là, par la sobriété des comédiens tout intensité maitrisée, par leur jeu dans cet espace fermé entouré d’un simple rebord proche du public, sans aucun effet gratuit ni racoleur, après qu’une pluie de sang se soit déversée sur les interprètes recouvrant tous le corps sans vie d’Eddie, et que redescend des cintres «  l’emboitage » tel un cercueil se refermant au son du Requiem de Fauré,  la pièce d’Arthur Miller prend une autre dimension.

Débuté sous une eau purificatrice,
Achevé dans la souillure du sang :
Sublimé , «  Vu du pont » mis en scène par Ivo van Hove, 
Toute la tragédie de la destinée humaine.

Un style dont devrait s’inspirer bien de nos chantres, 
En priorité la puissance invitante.
1 Commentaire
Jean-Pierre MICHEL
23/10/2015 05:07:35 am

Magnifique grande et lumineuse critique !
Merci Lulu !

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