C'est bien ainsi.
Qu'il signe des mises en scène spectaculaires et inventives (La Nuit des Rois, Le Songe d'une nuit d'été), ou plus intimistes (Au moment de la nuit, Jacques le Fataliste), il ne déçoit pas.
Cinéphile de base, j'ai découvert Volpone avec les inoubliables Harry Baur (Volpone) et Louis Jouvet (Mosca).
Dans les années 90, ce sont Guy Tréjean et Francis Perrin, dirigés avec justesse par Robert Fortune, qui connurent un joli succès.
C'est au tour de Roland Bertin d'incarner ce riche vieillard, qui avec la complicité de son valet Mosca, feint l'agonie pour obtenir de chacun de ses (faux) amis de fabuleux présents, voire le sacrifice de leur épouse ou fils, faisant miroiter à chacun de le désigner seul héritier de son immense fortune.
Pièce impitoyable, d'une noirceur absolue, rédigée d'une plume qui manie la verve et l'allégresse avec un talent consommé, Ben Jonson, son auteur, nous donne à voir une humanité rongée par une insatiable cupidité, ravagée par la soif de richesse et dénuée de tout scrupule:
"La conscience c'est la vertu des pauvres" dit Mosca.
"Rend moi mon argent, il est à moi, c'est moi qui l'ai volé" dit Volpone.
Cependant Roland Bertin parvient à conférer à cet odieux personnage une fragilité, une gourmandise, un art de s'extasier avec une innocence d'enfant, une délicatesse étourdissante.
Il faut entendre cette voix qui coule comme un nectar.
Il faut voir ce visage s'illuminer devant ses trésors, l'écouter parler à sa bourse d'écus comme un jeune père attendri, l'entendre gémir plaintivement et ressusciter dans la minute plus vorace que jamais.
C'est étourdissant.
Une interprétation faite d'indicibles nuances, d'infinies subtilités, qui atteint à l'ineffable.
Le fringant Nicolas Briançon campe un Mosca d'une redoutable efficacité.
Plus stratège que coquin, il a l'autorité de celui qui mène l'intrigue, qui manipule ses créatures avec une inaltérable énergie.
Magnifique scène finale quand Volpone dépouillé est chassé par Mosca, le parasite, soudain devenu "possédant".
Face à ce duo magnifique je veux encore citer Yves Gasc (Corbaccio) véritablement irrésistible dans son rôle d'ignoble vieillard et père indigne:
"Moi j'aime visiter les mourants, ça me rassure".
Seul mon esprit vétilleux pourra regretter les intermèdes dansés et un décor un peu pesant.
Il reste néanmoins que cette soirée comptera assurément dans les spectacles de référence de cette saison.