Exercice très prisé aujourd’hui, les lectures au théâtre se multiplient.
Jules Renard, grand écrivain célébré au Poche (Lulu d’octobre)
Vladimir Jankélévitch, grand philosophe, au Lucernaire.
Surtout n’allez pas croire à un cours rebutant.
Bruno Abraham-Kremer entretient avec son « personnage » une touchante proximité : sa maman, elle-même professeur de philosophie, fut élève de Jankélévitch.
A travers ses échanges épistolaires avec Louis Beauduc, jamais interrompus pendant soixante années, le comédien a choisi de nous faire découvrir l’homme. Quel homme.
Dès les premiers récits de jeunesse, l’ironie, l’humour, le sens de l’autodérision, la bêtise pourfendue, caractérisent ses écrits.
Promiscuité des chambrées, rigidité de l’uniforme, climat de sa première affectation à Prague, courte idylle avec une étudiante « Ignorante de Bergson et Descartes mais experte en fox-trot et tango » nous valent de bien savoureuses descriptions d’un homme pourtant entier et passionné :
« On ne gagne rien à s’économiser soi-même » exhorte-t-il son ami.
Liens privilégiés avec Bergson, profonde sensibilité à la musique, travail acharné, recherches, enseignement prennent brutalement fin avec l’armistice et les mesures antisémites qui le privent de toute ressource.
Si ses lettres poignantes traduisent son désarroi,
« J’existe toujours, on tient, mais combien de temps tiendrons-nous encore ? ».
Jusque dans ces situations extrêmes,
Traqué, réduit à la misère, Jankélévitch ne se résigne jamais :
« L’espoir est si grand qu’il compense le regret »,
Il est aussi résistant.
La paix revenue, Il reprend, ses activités, sa place à la Sorbonne, commente l’actualité avec clairvoyance, se désole de la baisse du niveau de l’enseignement, « Place aux ordinateurs et aux dieux business » moque affectueusement les étudiants soixantehuitards dont il suit les « A.G. »,
Alors que la question du pardon le poursuivra sans répit.
Il lui faudra attendre trente-cinq années pour voir enfin s’ouvrir une « nouvelle ère » devant lui :
La réconciliation avec la culture et la musique allemande, volontairement ignorées depuis la guerre.
Ce dernier échange épistolaire bouleversant vient conclure la soirée.
Je n’en dévoilerai pas le contenu.
A vous de découvrir ces ultimes moments de haute tenue, d’intense émotion.
Un moment de grandeur, de rigueur, de générosité, à l’image de toute son existence,
Loin de toute médiocrité,
Une évation.