Mes coups de cœur et mes déceptions avec Les Tolcachir, Romina Paula, ou Spregelburd ont fait l’objet de maintes chroniques.
Déjà invité dans de nombreux festivals en région, Sergio Boris lui n’était encore jamais venu à Paris.
Le théâtre de la Commune vient de remédier à ce fâcheux oubli.
Déjà mise en appétit par le titre, le spectacle a fait plus que nous séduire, il nous a marqué.
Sans la folie de Copi, et avec une autre approche que celle de Claudio Tolcachir, Sergio Boris, nous fait vivre une expérience tout aussi profonde.
Loin des conventions, de tout voyeurisme délétère , des effets faciles, il nous fait pénétrer dans le tréfonds des êtres et des âmes, et nous dépeint des existences sans issue.
Nous sommes dans l’arrière- boutique d’une pharmacie vieillotte, encombrée d’étagères où se côtoient, clairsemées, de poussiéreuses spécialités. Un fauteuil défoncé, une cabine au rideau défraîchi, coincée au milieu des meubles de rangement, complètent le décor.
Dans ce lieu déprimant vont se réunir cinq personnages pas davantage flamboyants :
Deux travestis, deux frères propriétaires de l’officine, et leur copain visiteur médical.
Les travestis sont en attente de leur piqûre d’hormone,
Les frères s’efforcent de sauver l’officine périclitant.
Le copain, « A.P.M. » agent de propagande médicale, s’escrime à leur vendre des médicaments dont ils ne veulent pas.
Des mondes vont se côtoyer, celui de la pharmacie et celui de la nuit.
Tous se débattent face à leur vie fracassée, frénétiques ou abattus, remplis d’espoirs trompeurs, soudain décidés, et aussitôt revenus à la triste réalité.
Ces situations faites de contrastes et d’alternances entre moments de joies fictives, et d’accablement, entre rêves impossibles et difficultés de la vie, nous font partager d’incroyables moments où séances d’injection, prise d’amphétamines, inscriptions méticuleuses de médicaments sur le registre, fête improvisée à la bière tiède et la pizza , évocation de la « soirée –mousse » projetée dans un lieu dénommé » Magico », vont ponctuer cette nuit insolite, avec ses personnages non mois étonnants que pathétiques.
Sergio Boris a travaillé deux années avec ses acteurs.
Le résultat est saisissant.
Traquant au plus près ce monde de déchus, cette figure de la scène argentine nous présente un spectacle qui fera date.
Après avoir ri, beaucoup, on n’en sort pas moins anéanti.
Il y a comme du Tchékhov chez Sergio Boris.
Patricio Aramburu, Sandra, jeune travesti aux collants filés, ventre rebondi, lèvres pailletées, et petite amie de Claudio ;
Jorge Eiro, Daniel, le cadet, seul diplômé, abandonné par femme, pas véritablement intégré au groupe;
Marcello Ferrari, Julia travesti à la corpulence de fort des halles, ainée de Julia, sa protégée, et vieille habituée de la pharmacie ;
Dario Guersenzvaig, Evaristio, le frère aîné, gère la pharmacie après avoir abandonné ses études ;
Federico Liss, Claudio, visiteur médical, couvert de bijoux de pacotille, petit et râblé, il arrive sous les épaules de Sandra ;
En sont les fabuleux interprètes.
Les argentins n’ont pas fini de nous étonner et de nous éblouir.
Leur place dans la nouvelle création demeure indiscutable.