Sans rapport avec la multiplication des «Seul en scène», la plus économique des formes du spectacle vivant d’un intérêt souvent discutable,
Un monologue peut nous offrir une vraie soirée de théâtre.
«Une jolie robe» en est la parfaite illustration.
Au lever de rideau, décor dépouillé, il suffit à l’action:
Un homme couché sur un étroit lit de fer, derrière le lit, ses vêtements jetés sur un paravent.
S’éveillant, le dormeur marmonne: «Je t’aime Papa».
Anodine, la phrase se révélera lourde de sens.
Sa nuit finie, nous prenant à témoin, Mike, le dormeur, va nous faire partager son histoire.
Le récit révélera la nature profonde du personnage, falot de prime abord, un employé de banque sans envergure, à la vie familiale médiocre
.
Un client improbable va faire basculer sa vie. Devenu ami avec Freddy après lui avoir consenti un prêt colossal, Mike deviendra l’associé du «promoteur» au flair infaillible.
Accablé de travail, si les affaires prospèrent sa vie familiale empire. Sa solitude grandit entre une épouse acariâtre prise de frénésie consumériste et l’éloignement de sa fille en pleine crise d’adolescence.
Garant de la «légalité» d’affaires toujours plus importantes, notre narrateur se retrouve à Marseille pour négocier un projet gigantesque.
L’enthousiasme de Freddy retombera aussitôt découvert la vrai nature de ses interlocuteurs, maffieux patentés.
Il refusera tout net l’association.
De retour en Angleterre, d’importants problèmes se poseront sur les chantiers en cours ou les réalisations passées.
Ruiné par les procès et les problèmes de construction, Freddy ne se relèvera pas.
Ayant tout perdu, il disparait à l’étranger.
Par le biais d’une trahison «légale» Mike préservera la totalité de ses acquis.
Finissant de s’habiller, impeccable dans son costume, glissant un pistolet sous sa veste, chaussant ses lunettes de soleil comme ses interlocuteurs marseillais, il nous révélera la pleine réussite de ses affaires.
Divorcé mais pragmatique, une relation épisodique avec son assistante lui suffit.
Perplexe, il ne pourra s’interdire de repenser à l’amour perdu de sa fille,
Placide, de s’interroger sur son attitude s’il venait à rencontrer son ex-associé.
D’une noirceur inattendue, d’un cynisme achevé, ce monologue, souvent ponctué de moments délicieusement comiques, a pour brillant interprète et traducteur chevronné, Robert Plagnol.
Dirigé avec la parfaite justesse qu’on lui connaît par Patrice Kerbrat, le comédien nous tient en haleine sans faiblir. Tour à tour plaintif, mal aimé, nostalgique, désabusé, dissimulé, calculateur
sa caricature de l’insatiable, infatigable Freddy, personnage sans finesse, hâbleur, menteur mais droit,
Celle de son épouse, persiflant bouche en cul de poule et lèvres serrées,
son évocation d’une bouillabaisse de «poissons pourris»,
Son ton posé et placide dans l’évocation de sa conduite sans scrupule face à son associé,
Rendent délectable un texte d’une sévérité implacable.
A l’image de ses compatriotes britanniques, Simon Stephen ( Harper Reagan, Lulu de février 2011, Blue Bird, Lulu de février 2018) et Terence Rattingan, La version Browning,(Lulu de septembre 2016) aussi mise en scène par Patrice Kerbrat
Andrew Payne prouve sa parfaite maîtrise de l’écriture, son sens aigu de la progression dramatique.
D’une plume aiguisé, d’une ironie mordante, il trace sans complaisance des portraits au vitriol.
Entre éclats de rires et sentiments d’effroi,
Andrew Payne, Robert Plagnol et Patrice Kerbrat nous offrent un moment fort.
Enfin du vrai théâtre.