La grande dame vous accueille en personne, en toute modestie et grande simplicité : telle une « ouvreuse », elle contrôle vos billets à l’entrée.
Félicitée, elle vous remercie de votre présence.
Magicienne, elle a su métamorphoser la première salle du théâtre, « restaurant » par tradition.
Guirlandes d’ampoules multicolores scintillantes, silhouettes d’éléphants, de bouddhas et autres éléments exotiques suspendus au-dessus des tables ; plats indiens sur les buffets dressés, serveurs en costumes locaux vous transportent aussitôt dans un autre univers.
Dépaysement total.
Effet des plus réussis.
Ici, le rite de la convivialité prend tout son sens.
Le spectacle débute avec un peu de retard. Avant de s’installer à un pupitre d’écolier, face au plateau, Ariane Mnouchkine s’adresse au public pour remercier ceux qui ont patienté depuis le matin pour assister à la représentation.
Dans l’unique et merveilleux décor de « La chambre en Inde » les nombreuses ouvertures, portes, persiennes, véranda, verront s’engouffrer, au cours de cauchemars successifs, tous les personnages qui hanteront les nuits tourmentées d’une malheureuse assistante de mise en scène.
Abandonnée par le directeur de la troupe au fin fond d’un village en Inde, harcelée par un l’attaché culturel qui craint pour sa prochaine affectation, sous les ventilateurs en action dans la moiteur des nuits, chemise de nuit à fleurettes, l’air nunuche avec son toupet sur la tête, Cornelia, Hélène Cinque, désespérément à cours d’idée, connaitra des sommeils agités prétextes à une longue suite de tableaux évoquant les affres du monde.
Grands singes bondissant, Capitaine au long cours et son second surgissant parlant la langue de Shakespeare, intégristes, terroristes, pères abusifs, les femmes et enfants maltraités, porte-faix et policiers indiens composent pêle-mêle une succession de scènes dénonçant les drames contemporains et l’impasse du créateur face à ces situations.
Cornelia se désespère : « Qu’est-ce qu’on va faire, je n’ai aucune vision, je ne vois rien ».
Entrecoupés de somptueuses séquences très colorées de Mahabharata donné selon une forme archaïque, le Theru Koothu, avec ses costumes extraordinaires et ses musiciens indiens ainsi que l’irrésistible marchandage entre candidats à l’attentat suicide composent les moments forts de la première partie.
Fascination pour l’un, humour dénonciateur pour le second portent à la perfection l’idéal «mnouchkinien » généreux, humaniste, universaliste.
Créé « en harmonie » avec Hélène Cixous, pour reprendre la terminologie précise des « auteures », au bout des deux heures de la première partie la démonstration recherchée atteint ses limites : en dépit de la variété des sujets abordés et des langues parlées, le coté systématique devient répétition, la lassitude gagne, l’intrigue se perd en juxtapositions sans liens véritable, sans fils conducteur, sans progression dramatique.
Sans vouloir manifester trop de sévérité, un texte de grand auteur, comme pour le « Lady Macbeth » de la précédente création, forment un socle autrement solide pour les inventions théâtrales de Mnouchkine.
Tourments sincères, propos généreux : incontestablement.
Trop sollicitée, l’arme de l’humour dénonciateur s’enraie fatalement.
Il faut lui reconnaitre le mérite d’exister.