Drames quotidiens
Trois courts drames à deux personnages.
Trois tableaux de solitudes accablantes.
La première "Fleuve" réunit pour des sorties de plus en plus espacées un jeune père chômeur et son fils.
L'enfant assurera avec un amour infini, une constance inébranlable, la lente descente aux enfers de son papa qui sombrera inexorablement, jusqu'au renversement des rôles.
Au commencement c'est naturellement le père qui pose sa veste sur les épaules de l'enfant, mais à la fin, le fils, avant de se retirer sur la pointe des pieds, aura tiré tendrement une mauvaise couverture sur le papa ivre mort écroulé sur son lit et lui laissera également les sous de son taxi.
Pourtant l'enfant conservera encore et toujours, en rêve, l'image du papa présent et idéal.
Dans la deuxième "Un verre de crépuscule" l'exercice est plus délicat:
Les deux solitudes réunissent un homosexuel en quête de tendresse et un jeune paumé contraint de se livrer à la prostitution.
Au petit matin, quand l'homme s'apprête à quitter les lieux, en proie à un irrépressible désespoir, une consolation aussi inattendue que retenue, lui sera accordée par son partenaire tarifé: une simple accolade.
Ce geste accompli entre deux hommes nus revêt ici, à l'exclusion de tout complaisant exhibitionnisme, une intensité aussi émouvante que pudique.
Dans la troisième "Quelque part au milieu de la nuit" c'est une fille entièrement dévouée à sa mère, atteinte d'Alzheimer, qui subit avec douceur, compréhension et patience infinie, les rebuffades et les caprices de sa maman qui refuse l'hospitalité généreuse de son enfant.
Daniel Keene, australien de 56 ans est certes un auteur intéressant.
En l'occurrence, c'est un auteur comblé.
Impossible de rêver meilleure mise en scène, plus beau décor, éclairages plus subtils.
Didier Bezace, que nous avons déjà admiré au service du répertoire ( inoubliable "Fausses confidences" de Marivaux avec Pierre Arditi) est aussi magistral et à l'aise avec cet auteur vivant.
De l'utilisation du plateau, aux ouvertures du rideau de scène, du déplacement des mêmes éléments symboliques de la scénographie, encore signée du formidable Jean Haas (lampadaire de rue, bar, parapet, lit) aux lumières de Dominique Fortin, à la réalisation sonore de Géraldine Dudouet, tout y est d'une remarquable précision, d'une maîtrise absolue, d'une efficacité indéniable.
Ce travail si abouti, justifie la présence inhabituelle des techniciens au moment du salut aux côtés des interprètes:
Daniel Delabesse et Thierry Levaret, remarquable couple d'homme,
Geneviève Mnich et Sylvie Debrun, la mère et la fille,
Patrick Catalifo, le père, et Simon Guérin l'nfant.
Didier Bezace, je le répète sans hésiter, nous donne à voir un trvail exceptionnel qui le place au rang des plus grands, et j'en viens à me poser cette étrange interrogation:
Son talent ne dépasserait-il pas celui de l'auteur?
Je crains de devoir répondre par l'affirmative.