L'oeuvre d'Alfred Jarry est sans rapport.
Son "Ubu Roi" se situe dans un registre bien différent.
En la matière, une référence historique, la version de Jean Christophe Averty (1965), illustration parfaite, fidélité absolue à l'esprit foutraque, anar et transgressif de cette oeuvre d'avant-garde qui fit scandale lors de sa création (1896).
Aussi cérébrale que sottement réaliste, la récente production du Français a laissé un trop pénible souvenir (Lulu juin 2011).
L'analyse de Declan Donnellan relève d'une forme de "prodige".
A l'opposé des "relectures" que je ne cesse de dénoncer.
Une "modernisation"
Pas un dépoussiérage.
Sans jamais le trahir, moins encore l'éliminer, Declan Donnellan dépasse le seul côté farcesque et potache d'Ubu.
Il fait jaillir avec une force insensée cette violence qui nous habite, tapie, qu'un impeccable vernis de civilité recouvre en apparence, mais toujours prêt à surgir et exploser selon les circonstances.
Ainsi le texte acquiert une résonance insoupçonnée, une profondeur inquiétante, une modernité surprenante.
Sur le plateau, unique, élégantissime décor blanc contemporain (Nick Ormerod) . Séjour spacieux grand bourgeois aseptisé. Côté salle à manger une table dressée attend les invités. Grand canapé blanc, table basse, bouquet de fleurs côté salon. Mur du fond mouluré, cheminée au centre, une porte à chaque extrémité.
Tout va se jouer là.
Dans un incessant va et vient, alterneront d'irrésistibles scènes de dîners en ville, policés, murmurantes, dont en entend de loin en loin quelques propos décousus échappés aux convives bon ton.
"j'ai dû faire appel à des confrères."
"C'est ébouriffant."
"Oui, je les ai rapportés tout exprès."
"Une espèce de transcendance."
Et quelques autres banalité de convenance, très "charme discret de la bourgeoisie."
Suivent aussitôt toutes les scènes d'Ubu, jouées par les mêmes comédiens, devenus soudain aussi féroces que cupides, aussi sanguinaires que bestiaux.
Incroyable métamorphose.
Radicalité stupéfiante.
Le plus haut degré de "civilité" comme indissociable des pires tyrannies, de la folie destructrice, de la vénalité insatiable, de la couardise absolue, et de la paillardise la plus débridée.
Fourmillant de trouvailles, débordant d'imagination et joué par des acteurs véritablement époustouflants, avec Christophe Grégoire campant un inoubliable Ubu, tous parviennent à une incroyable performance.
Declan Donnellan figure tutélaire d'un très grand théâtre.
Son talent touche à l'universel.