Le vieux capitaine, savant à la veille de découvertes importantes, souhaite envoyer sa fille en ville poursuivre ses études pour qu’elle ait un métier, institutrice.
Ce projet rencontre l’hostilité de toutes les femmes de sa maison, épouse, belle-mère, nourrice.
Jusqu’au bout il tentera de l’accomplir.
Face à lui, la détermination de Laura, sa femme, qui veut garder l’enfant auprès d’elle pour développer ses talents supposés pour la peinture.
Pour s’opposer à cette volonté elle usera des pires stratagèmes.
S’engage une lutte sans merci.
Laura en sortira vainqueur : cœur brisé, rendu à moitié fou de douleur par les insinuations de Laura sur sa paternité douteuse, le capitaine, promis à l’asile de fous, revêtu par sa nourrice d’une camisole de force, mourra avant d’être interné.
Combat terrifiant, intrigue d’une absolue cruauté, la pièce de Strindberg déchire le cœur, glace l’âme, nous fait frémir d’horreur.
S’y inscrivent tous les thèmes essentiels de l’auteur, marqué par le pessimisme et l’amertume, enfant mal aimé de sa mère, époux malheureux dans ses mariages successifs, être tourmenté traversant de graves crises.
Derrière cette lutte des sexes, sous cette impossibilité à s’accorder, dans ces affrontements terribles, l’amour affleure cependant dans certaines évocations d’une union qui connut aussi de très beaux moments. Pudiques et si touchants ces rappels du passé ; rares instants de plénitude, si belle, si absolue.
Vous l’aurez compris, ce texte s’impose de lui-même dans l’adaptation d’Arthur Adamov.
Sinon rien de tonitruant dans la mise en scène d’Arnaud Desplechin qui a le bon gout de respecter l’époque du drame.
Michel Vuillermoz en capitaine est bien ce géant aux pieds d’argile, et Thierry Hancisse ce pasteur- passif. Tous deux font montre de leur parfaite maitrise.
La jeune Claire de le Rüe DU CAN est la révélation de la soirée. Elle est Bertha, la fille du capitaine et de Laura. Ecartelée entre son amour pour son Père et sa Mère, elle a toute la fraicheur, l’innocence, l’affection profonde et sincère d’un enfant aimant, seule consolation d’un Père malheureux et tendre, possède la fragilité de cet être sensible et vulnérable, involontairement cruelle.
Soit, on a déjà vu plus attendrissante nourrice que Martine Chevalier, mais grands dieux, pourquoi Anne Kessler nous joue-t-elle Laura en grande coquette piquante, telle une marquise de Marivaux ?
Cette femme à la perfidie démoniaque jusqu’à l’assassinat, cœur de pierre, volonté d’acier, affiche une légèreté que rien ne peut atteindre, tisse sa toile criminelle avec la désinvolture d’une mondaine. Un jeu qui rend peu crédible le personnage, qui, sans tomber dans la caricature de d’une mégère, pourrait se montrer plus inquiétante.
Trop riche encore et en contradiction avec le texte, le somptueux décor de Rudy Sabounghi : ces grandes portes coulissantes qui ferment le vaste bureau du capitaine laissent davantage deviner les pièces d’un palais que la maison d’une famille dans la gêne.
A ces réserves près, porté par la pièce de bout en bout, c’est le génie de Strindberg qui triomphe et s’impose.
Du très grand théâtre.