Dirk Roofthooft se livre, face au public, à une méticuleuse séance de ponçage de pieds.
Alors qu’il vient d’apprendre la mort de sa Mère qu’il ne voit plus depuis des années,
Ce geste trivial, d’habitude réservé à l’intimité,
Trouvera bientôt son explication dans le récit qu’entame le comédien,
Un récit de cruautés et de violences,
D’insoutenables exactions et humiliations dégradantes, de tortures morales,
Commises par les japonais, durant la seconde guerre mondiale,
Dans un camp d’internement pour civils en Indonésie.
Le témoin de ces atrocités n’avait que cinq ans !
Au-delà des tragédies vécues,
Une expérience radicalement destructrice,
Pour le petit garçon qui absorbe sans comprendre ce à quoi il assiste,
Et l’adulte définitivement marqué.
« Je ne suis pas là » dit-il,
Les souvenirs du camp surgissant toujours comme une barrière infranchissable dans une vie de souffrances, totalement à la dérive,
Brisant ses relations avec sa mère et avec les femmes, épouses ou amante miraculeuse,
Qu’il évoque par bribes déchirantes, pathétiques.
« Où, quand et grâce à quoi aurais-je pu apprendre à sentir quelque chose ? » s’interroge l’auteur.
Cependant se dessinent à travers les souvenirs épars,
Des moments d’infinie tendresse maternelle, d’incroyable courage chez cette mère abandonnée plus tard,
Impardonnable jusqu’à ce jour d’avoir mis son fils en pension.
D’une voix toujours sourde, étouffée mais distincte, Dirk Roofhooft, incarne admirablement le texte de Jeroen Brouwers.
Quelques vidéos, projetant des images aux couleurs et formes indistinctes sur le fond de scène, viennent illustrer les débats intérieurs, les méandres où se perdent les pensées de l’auteur,
Comme le comédien parcourt les allées du camp matérialisées au sol avec quelques dalles espacées.
Se remémorant le petit livre que sa mère lui avait miraculeusement trouvé dans le camp, « Le voyage du petit Daniel» dans lequel elle lui apprit à lire,
Nous croyons embarquer pour un voyage au bout de l’enfer,
Pour nous diriger vers la voie de l’apaisement,
Sur un chemin de la réconciliation.
Magnifique roman, tourmenté, torturé, insoutenable parfois.
Mais pas vraiment du théâtre même si le spectacle, montré pour la première fois en France, connait un succès sans faille depuis déjà dix ans.