Cela débute dans la lumineuse clarté de l'amour.
Cela finit dans les eaux obscures des ténèbres.
Une pièce blanche, un matelas au sol.
Un cadre nu pour l'arrivée de Moi chez Lui.
Son intense luminosité irradie la force de cette passion naissante.
Moi a quitté son foyer pour Lui.
Lui, plus jeune, a enfin rencontré la compagne qui met fin à sa longue solitude.
Tous deux rêvent et espèrent un recommencement.
Enfants incompris de leur Mère, Moi reste hantée par la perte de sa fille, Lui se laisse entrainer dans une aventure sans lendemain.
Séparés, Moi acceptera de revenir alors que Lui, condamné par la maladie, l'appellera au secours.
Ensemble ils mettront fin à leur existence.
Avec une écriture aussi dépouillée que le décor de la pièce, des dialogues à la fois clairs et intenses,
un souffle qui nous permet de respirer chaque sentiment exprimé par les protagonistes, Arne Lygre nous livre le tableau le plus sensible et profond de toute l'incommensurable difficulté du " vivre à deux".
Usure du temps, perte du désir, chagrins inconsolables construisent insidieusement ce mur infranchissable qui finit par séparer les amants les plus unis.
La proximité de Stéphane Braunschweig avec l'auteur était déjà palpable en 2011 avec " Je disparais".
" Rien de toi" franchit un degré de plus dans la complicité.
Signant aussi la superbe scénographie, Stéphane Braunschweig ne pouvait mieux nous faire entendre ce texte admirable de vérité et de pénétration des sentiments.
Les lumières de Marion Hewlet accompagnent le développement de l'action, révélant d'invisibles ouvertures sur les cloisons immaculées du début.
Après Lulu et Nora, Chloé Rejon, Moi, retrouve un rôle à sa mesure. Déterminée, elle s'engage sans retenue dans son nouvel amour.Trahie par son amant, elle ne s'avoue pas vaincue.Hantée par la mort de sa fille, presque maternelle avec Lui
Manuel Vallade est Lui. Plus jeune que Moi, séduisant et protecteur, égoïste aussi comme beaucoup d'hommes.
Comique dans la scène avec sa Mère, pathétique quand se déclare la maladie, il est le plus fragile .
Troublant cette solitude protectrice s'introduisent d'importunes visites.
Toutes quêtent un peu d'amour qui leur sera refusé.
Etonnante Luce Mouchel enchaînant quatre rôles à la suite:
Déroutante en Mère de Lui, elle constate: " Cet enfant n'est peut-être pas ce qui me correspond. Il faut s'habituer". Agaçante en Mère de Moi possessive,si béate d'admiration devant sa fille que l'enfant lui dissimule ses épreuves de peur de la décevoir.
Enfin si émouvante en fils abandonné questionnant sa Mère sur sa soeur noyé, puis dans l'incarnation de cette disparition.
Jean-Philippe Vidal, physique de bucheron, force brute, est la mari quitté mais insistant.
Piège de la passion, incommunicabilité, difficulté d'aimer.
Thèmes éternels.
Modernité de l' écriture, langue dépouillée de tout artifice nous font percevoir le souffle de chacun des sentiments des personnages.
Admirable dernière pièce de l'auteur norvégien.
Après " Matin et soir " de Jon Fosse les auteurs scandinaves vivants portent très haut les feux du théâtre contemporain.