Fait exceptionnel, un silence réservé a suivi la représentation, en juin dernier, de «Je suis le vent»
de Jon Fosse.
Du même auteur, «Rambuku» renoue avec l’inimitable style de leur travail.
Admirablement débutée avec «Dors mon Petit Enfant» (Lulu de février 2018) ce texte constitue en quelque sorte le troisième volet de cette série consacrée à cet auteur norvégien contemporain, depuis toujours admiré par Lulu.
Pour tout décor, une toile de fond barbouillée de noir, des néons pendant au-dessus du plateau, une table de bridge déglinguée avec trois verres et un bol de glaçons. Au sol quelques carrés de parquet.
Sur scène trois personnages: une femme, grande, mince, racée, Kayiaje Kagame, un homme blond tenant un texte à la main, Matthias de Koning, et, barbe fleurie, ventripotent, en pull rose, l’irrésistible Damian de Schrijver.
Ils patientent en attendant que les spectateurs finissent de prendre place.
Ils s’observent.
L’homme blond met maladroitement les glaçons dans les verres.
Elle se lance
«On est là, oui on est là, et toi tu ne dis rien», «Tu pourrais au moins dire quelque chose»
Silence prolongé.
Et annonce:
«C’est le jour où nous allons partir toi et moi pour Rambuku»
Rambuku: le mot est lâché.
Repris telle une litanie, la mystérieuse destination sera prétexte à maintes évocations lancinantes.
Ce quasi soliloque de la femme ne rencontrera qu’un infime écho chez les hommes.
La fuite rêvée, l’échappatoire tant attendue, souhaitée, espérée, désirée, dévoilera toutes les déceptions, le mal-être de l’existence, de la vie, de notre condition.
Rythmé par des silences plus ou moins longs, seules indications de l’auteur,
Ecriture dépouillée, économe, elliptique,
Vocabulaire simple,
Le texte de Jon Fosse, touchant d’humanité, atteint à la métaphysique.
Il revient à Kayije Kagame d’assumer le rôle de la femme.
Formée chez Bob Wilson, elle incarne avec une calme autorité le rôle de cette femme réduite à un quasi soliloque. La colère, la révolte, les griefs succèdent à son lyrisme et son enthousiasme du début.
Résigné, indifférent jusqu’à l’absence, immobile, muré dans son silence jusqu’aux ultimes sommations de la femme, Damian de Schrijver, par sa seule présence sur scène, quelques regards furtifs, de minimes déplacements sur le plateau, confirme son exceptionnel talent de comédien.
Son comique fait merveille avec une simple feuille de papier dont il se protège le visage, ou quand il exécute, passivement, lourdement, une marche autour du plateau.
Muet intermédiaire, texte à la main, le troisième personnage, Matthias de Koning, est l’intermédiaire, le passeur, le reflet de l’homme dans la scène ultime. Dans ces retrouvailles par personnes interposées, il dégage avec humour la gêne ressentie de celui qui n’est pas à sa place.
Puis le départ tant attendu se révélera tragique, sans issue.
Le spectacle dure seulement cinquante minutes.
Plus puissante son intensité.
Une réussite accomplie