Depuis leur découverte avec « Les Estivants » de Gorki dans cette même salle où ils sont régulièrement invités, Lulu se fait fête d’assister à leurs créations de pièces souvent connues , telles « Trahisons » de Pinter, ou « Art » de Yasmina Reza,( se reporter aux chroniques et Lulus D’Or) auxquelles leur style inimitable confère une résonnance singulière, subtil alliage de comique achevé et de causticité pétrie d’humanité.
Cette fois ils proposent une soirée audacieuse toujours, réunissant deux auteurs contemporains que tout oppose : Jon Fosse et Marius von Mayenburg.
« Dors Mon Petit Enfant » courte pièce de Jon Fosse débute la soirée.
Sur le plateau, à leur habitude, les comédiens sont présents dès l’ouverture des portes. Jolente de Keersmaeker, désormais brune et svelte comme un elfe, Damian de Schrijver, crâne dégarni, bon géant ventripotent à la barbe fleurie, et Frank Vercruyssen égal à lui-même, observent placidement le public prendre place.
« Où nous sommes ? » interroge le premier
« Moi j’ai toujours été ici » répond le second.
Au sceau de cette banalité confondante, l’auteur nous mène, avec cette écriture elliptique, cette économie d’effets, suite d’interrogations et d’affirmations ordinaires ou absurdes, d’exaspérations stupides, au plus profond de questions métaphysiques.
« Toujours n’existe pas, être n’existe pas, c’est ainsi » assène, bon enfant le géant chaleureux.
Jeu de langage admirable auquel les trois très grands comédiens donnent un rare relief, teinté d’un comique indéniable toujours mêlé de cette jubilation intensifiée encore par leur inénarrable accent.
Rarement Jon Fosse n’aura paru si proche, si limpide, si essentiel.
Au de-là du rire, du très grand théâtre.
Suit « Stück Plastic » (Pièce en plastique) de Marius von Mayenburg, satire efficace de bobos bourgeois, succession de tableaux comiques et dénonciateurs interprétés tout en causticité percutante, terrain de « jeu » rêvé pour nos comédiens qui s’en donnent à cœur joie.
L’intrigue est simple : Ulrike, femme débordée et Michaël chirurgien dévoré par sa profession, décident d’engager Jessica comme femme de ménage aussi chargée de veiller sur leur fils Vincent, enfant négligé à l’âge de la puberté.
La présence de Jessica fera bientôt tomber les masques.
L’hypocrisie et les préjugés se manifesteront sous la tolérance et l’ouverture d’esprit proclamés :
« Elle pue » se plaint Ulrike tout en chargeant son mari de l’intervention auprès de l’employée, le sommant de : «prendre ses responsabilités »
L’irruption régulière d’Haulupa, patron d’Ulrik , artiste conceptuel fondamentalement contestataire, finira, par ses attaques virulentes et ses théories dictatoriales de disloquer cette famille déjà ébranlée.
Distribué dans le rôle du fils et de l’artiste, Damiaan de Schrijver, le bon gros géant, en salopette ou travesti en fille, dégage une rare force comique.
Placide, mais persuasif, il atteint à l’apogée dans sa démonstration écologique imparable sur les dangers contenus dans nos aliments.
Démarrée sur les méfaits du gluten, l’énumération le conduira à cette seule véritable solution pour préserver efficacement la planète, ne plus émettre de Co2, plus explicitement, mourir.
Dans cet univers pathétique, sous son apparente docilité, seul personnage capable de compassion envers les protagonistes, Jolente de Keersmaecker , en Jessica, est encore une fois formidable,
Et Frank Vercruyssen en Michael, le mari déboussolé et craintif, tout aussi merveilleux.
Face à ses camarades, seule Els Dottermans, Ulrike l’épouse faussement sympathique, parait d’un « naturel affecté » comme appris, dans sa gestuelle comme dans son élocution, ne maitrisant pas toujours son texte.
Peu importe,
La charge caricaturale enchante le public.
Lulu n’est pas la dernière à bouder son plaisir.
Les TG STAN demeurent incomparables ;
Avec le Toneelgroep d’Amsterdam et les comédiens de Duclan Donnellan ,
Au rang des plus brillants d’Europe.
L’illustration d’un « véritable » théâtre.