Imparable démonstration.
Lulu bat sa coulpe, Lulu fait amende honorable
Thomas Ostermeier signe cette fois un admirable travail,
Une mise en scène implacable :
Précision chirurgicale, justesse, fluidité, vidéos maitrisées et sensibles,
Rendent à ces trois heures de spectacle toute sa densité dramatique ;
D’origine juive, directeur d’une clinique réputée, homme intègre, excellent praticien, le docteur Bernhardi refuse à un prêtre, par humanité, d’entrer dans la chambre d’une jeune patiente mourante victime d’une septicémie due à un avortement clandestin.
Au seuil de la mort, la jeune fille délire, se croit guérie.
Face au prêtre le docteur s’oppose à cette : « visite qui lui ôte son dernier rêve »,
Avant d’ajouter : « C’est de mon devoir d’offrir une mort heureuse à mes malades quand nous ne pouvons plus rien »
Déjà contesté par une partie de ses collaborateurs antisémites, jaloux, incompétents, carriéristes, opportunistes,
L’incident deviendra accident, se transformera en cabale ;
Le moyen de briser la carrière de Bernhardi pour placer des amis à ce poste prestigieux.
Au prétexte d’ « Entrave à l’exercice de la religion » dans un pays de tradition chrétienne.
Exploité, déformé, grossi par le parti nationaliste, l’affaire enflera, grossira, sera débattue au parlement ;
La capitulation du ministre provoquera la tenue d’une enquête suivie d’un procès inique qui condamnera Bernhardi sur la base de faux témoignages.
Rendu à la liberté après deux mois d’emprisonnement, le docteur, fidèle à ses convictions, refusera le soutien de la gauche pour ne pas être instrumentalisé et servir d’autres fins politiques ;
Tous ses projets « évaporés »,
Affirmant : « J’ai juste voulu faire ce qui est juste »
Au ministère de la santé où il espère faire lever son interdiction d’exercer par son « ami » ministre qui se dérobe une fois encore sous de fallacieux prétextes afin de ne pas nuire à sa carrière et à ses projets,
Bernhardi s’entend rétorquer par un ancien collègue devenu directeur du cabinet :
« Avoir raison n’a jamais rendu personne célèbre »
Avant de conclure, cynique et pragmatique,
« J’aurais fini comme une andouille, comme vous »
Refusant toutes les compromissions, gardant la tête haute, pugnace, sarcastique face à l’adversité, le docteur Bernhardi aura perdu toutes ses illusions.
Politiciens véreux, collègues sans scrupules, auront brisé leur proie honnie.
Sous-jacent, évoqué par petites touches, l’antisémitisme latent se dissimule pudiquement dans cette première phase de son travail destructeur mis en œuvre avec une rationalité méthodique.
Porté par quinze acteurs de très grande qualité, citons tout particulièrement Jörg Hartmann, le docteur Bernhardi honnête homme broyé, et Christoph Gawenda, le gesticulant ministre véreux et pleutre opportuniste.
La troupe évolue devant un fond de scène blanc aseptisé où deux portes, l’une simple, l’autre à deux battants, suffisent à rythmer l’action, quelques éléments déplacés à vue, pour la situer, dans la scénographie épurée de Jan Pappelbaum.
Fils d’un laryngologue réputé, médecin lui-même, Arthur Schnitzler s’est largement inspiré de faits vécus par son père.
Terrifiantes prémonitions :
Jouée à Berlin l’année de sa parution, en 1912, la pièce sera aussitôt interdite en Autriche.
Délitement de la société, exploitation des ressentiments à des fins politiciennes y sont décrits avec une précision clinique, glaçante.
Ecriture incisive, humour désabusé, noirceur du constat,
Confèrent toute leur épaisseur à chacun des personnages,
Font résonner la redoutable actualité du texte face aux succès remportés aujourd’hui par les nouveaux partis nationalistes.
Un choix et une mise en scène du directeur de la Schaubüne qu’il faut saluer sans réserve ;
Trois heures de grand théâtre
Cette fois « Bravo Thomas Ostermeier ».