Dominique Bourde et François Cabanat ont conçu le décor idéal pour recréer la médiocrité pimpante de cet intérieur anglais.
Nous sommes chez Milly et Frank, un couple de retraités.
Une jeune fille au pair occupe la pièce du fond.
Assis dans un fauteuil du salon, un invité.
Coquette, proprette, mignonette dans sa robe fleurie, intarissable, Milly babille, pépie, caquète, jacasse, pérore.
Lui, placide, résigné, écoute d’une oreille, parfois la reprend, souligne une inexactitude, s’enhardit à un souvenir personnel.
Début de conversation d’une banalité affligeante.
Les charmes de séjours au soleil, la réussite professionnelle de leur fils, inspirent visiblement Milly.
Ses regrets d’une piscine exprimés au détour d’une phrase forment le prélude innocent à un crescendo tranquille, naturel, badin pour que se révèlent les préjugés les plus détestables, et qu’une cécité coupable, une complicité aveugle se manifestent face à une situation arrivée sous leurs yeux, dans leur salon.
Ainsi, dans cet univers faussement douillet, sous cette apparente tranquillité, insidieusement, lézardes, failles, béances niées se feront jour au prétexte d’un bonheur illusoire.
A Catherine Salviat revient le rôle difficile d’assumer cette terrifiante conversation, rarement interrompue.
Pimpante, sa fraicheur désarmante, son aisance naturelle, son entrain inaltérable, confèrent toute l’ironie grinçante à cette femme insignifiante, pitoyable et odieuse à la fois.
Parfait à ses côtés, Jacques Bondoux incarne avec tout le flegme résigné ce mari usé, presque ignoré, voire méprisé. Un verre de whisky versé en cachette, la taille des rosiers du jardin demeurent ses ultimes échappatoires.
Présence silencieuse, repliée dans sa chambre ou négligente et sans-gêne dans son comportement, la grande et belle Heidi-Eva Clavier incarne Marichka la jeune fille au pair hollandaise.
Soudain appelée à participer à l’évocation du « joyeux » souvenir familial,
Avec une présence saisissante, tout en intelligence, comme désincarnée, désabusée, innocemment, elle confère à son récit des faits toute leur intensité dramatique
Nos félicitations encore à Anne-Marie Lazarini, qui signe la mise en scène de ce spectacle.
L’humour de Martin Crimp en ressort pleinement.
Britannique, l’auteur distille subtilement l’influence de ses grands ainés : Ionesco, Pinter, Beckett;
Quand la synthèse se révèle aussi aboutie, l’écriture si dense, les personnages si forts,
Le théâtre retrouve sa pleine signification.
C’est le cas dans « Probablement Les Bahamas »
Un spectacle court et percutant.
Une nouvelle bonne surprise.