Cède ici à l’émerveillement admiratif face à l’audacieux travail d’Irina Brook.
Monté dans son intégralité et dans son contexte, la représentation de la Comédie Française n’avait nullement convaincu Lulu. (chronique « Fin de Saison » de juillet 2012).
Transposée dans une sorte d’opéra rock, ici Peer Gynt à son apogée, devient non pas marchand d’esclaves mais star de rock.
L’étonnante adaptation d’Irina Brook ne nous prive d’aucune des richesses de cette œuvre protéiforme, redoutable défi pour le metteur en scène.
Véritable « Epopée » poétique, satire sociale aux implications philosophique, à la profondeur métaphysique, récit d’une chute vers une rédemption ,
Dans cette version, tous parfaitement sensibles, palpables, rendus, illustrés.
Paysan parti courir le monde, mauvais garçon, menteur, paresseux, ivrogne et débauché, mû par une quête éperdue :
La vaine recherche du « vrai moi »,
Peer Gynt n’a de cesse, au cours de ses multiples aventures de devenir « quelqu’un », une célébrité.
Le comique préside aux récriminations de la vieille mère, à la noce campagnarde, à l’interview des journalistes, à l’incursion dans un bar minable de l’Amérique profonde avec une Anitra, Froydis Arntzen Dale, irrésistible en chanteuse de rock qui exerce ses charmes ;
Une infinie beauté baignent les douces et émouvantes apparitions de Solveig ;
Tel un conte d’enfant, la démesure des récits imaginaires de notre anti-héros nous fascine,
Du Royaume de Trolls, de la scène du labyrinthe au fondeur de boutons se dégagent de troublantes étrangetés.
L’accompagnement musical, avec ses instrumentistes aussi à l’aise dans les transpositions des airs de Grieg, qu’en orchestre pour noces et banquets ou groupe de rock tonitruant, s’intègre et participe formidablement au spectacle.
Tempérament hors du commun, lngvar Sigurdsson compose un Peer Gynt qui fera date.
Ce garçon à la silhouette athlétique, d’un blond idéalement nordique, sait passer de la grossièreté et de la rudesse de ses origines paysannes, à la veulerie et au cynisme les plus détestables aux questionnements lancinants d’un être agité de tourments à la sincérité d’un pur amour éphémère.
Dans son numéro de rockeur, interprète d’une chanson d’Iggy Pop, déchainé, électrisant, il laisse pantois, plus rock encore qu’un Mike Jagger. Quelle performance !
A l’opposé, frêle, délicate, souple et élégante, danseuse accomplie, la ravissante Shantala Shivalingappa incarne délicieusement la pure et fidèle Solveig, l’ultime refuge ; et démon vert, la lascivité vénéneuse.
Une dernière mention particulière pour Mireille Maalouf, aussi merveilleuse sous sa perruque en vieille mère geignante, qu’imposante prêtre prononçant une oraison funèbre.
Tous leurs camarades mériteraient aussi d’être cités, pardon de ne pas tous les nommer.
En harmonie avec le lieu, quelques flocons suffisent à évoquer la nature, quelques éléments caractéristiques, une passerelle au- dessus de la scène, un escalier mobile, symbolisent joliment les différents lieux de l’action dans la scénographie de Noëlle Ginefri .
Voilà un spectacle singulier.
Une version raccourcie du chef d’œuvre d’Ibsen,
D’emblée une interprétation déroutante.
La magie opère,
L’aventure prenante, vivante, imagée,
La profondeur exaltée,
Les émotions intensifiées,
La poésie intacte,
La justesse respectée.
Véritablement de la bel ouvrage,
Une soirée preignante.