Contemporain de Ionesco, Beckett, Pinter, les véritables dramaturges novateurs des années cinquante -soixante, Anouilh, plus conventionnel, a rencontré un succès jamais démenti au cours de sa carrière.
A la différence d’autres auteurs célèbres de cette époque, Barillet et Grédy, ou André Roussin, actuellement remontés, Anouilh n’a jamais connu de «purgatoire» .
S’il n’est pas l’écrivain préféré de Lulu, ses pièces : Colombe», «Eurydice», ou «Le Nombril» ultime opus déchirant, allient véritable maîtrise de la dramaturgie et sens aigu de la psychologie humaine.
Qualités essentielles parfaitement déclinées dans «Pauvre Bitos», sous-titré «Le Dîner des Têtes».
Une plongée aux tréfonds de l’âme, tableau de nos idéaux trahis, de la faillibilité de nos cœurs.
En province, quelques années après guerre, un ancien aristocrate déchu organise un dîner de têtes, exclusivement des personnages de la Révolution française», dans le but de ridiculiser le procureur de la ville, costumé en Robespierre, implacable persécuteur des anciens collaborateurs.
Débute un jeu cruel.
Bitos-Robespierre affronte le jugement impitoyable de chacun de ses «amis» perruqués en Mirabeau, Danton, Camille Desmoulins, Saint- Just, ces acteurs majeurs de la révolution, tous condamnés à la guillotine sous la terreur jusqu’à que soit à son tour exécuté l’Incorruptible.
Dans un jeu de miroir, tels des flash-back, l’intrigue nous transporte aussi dans les bas-fonds de la Conciergerie, dans le bureau de Robespierre et Saint-Just, nous faisant revivre ces moments tragiques.
Dépassés par leur stratagème diabolique, terrifiés à l’idée d’être à leur tour poursuivis par la vindicte de Bitos, les convives tenteront de définitivement le perdre. Seule la fille du juge, animée par la compassion, le sauvera du piège fatal.
«Ceux qui parlent trop d’humanité ont tendance à décimer les hommes».
Terrible résonance aujourd’hui.
En écho, face à celle à qui il doit son salut, la dernière phrase de Bitos, jusqu’au bout odieux :
«Si je peux me venger un jour de vous tous, c’est par vous que je commencerai Mademoiselle».
Conclusion sans «appel».
Honneur à Maxime d’Aboville, avec ses faux airs de Philippe Avron en Bitos emprunté ou sa froideur glaçante en Robespierre, rigoriste vengeur sans pitié.
à Francis Lombrail, Vulturne et formidable Mirabeau, tour à tour moqueur, méprisant tonnant, menaçant.
Le Julien d’Etienne Ménard est bien le Danton épicurien, viveur, buveur, trousseur de jupon, pas moins grand homme porteur d’idéaux humanistes.
Citons encore la «délicieuse» Marie-Antoinette-Lila d'adina Cartianu,Sybille Montagne. Victoire- Lucile Desmoulins, et Adel Djemai, Deschamps-Camille Desmoulins complètent la distribution de qualité.
Au-delà de la banale évocation historique, de la facilités de mots d’esprits, d’ un schéma tout fait, d’un travail conventionnel et des situations convenues,
Une pièce troublante sur la complexité de la nature humaine.
Un texte profond,
Un très bon spectacle.
En un mot du «théâtre».