Tout concourt à cette réussite.
Le décor que l'on découvre en entrant dans la salle nous fait derechef pénétrer dans l'univers "ravellien".
Sur le plateau bleu-france, reposent de la même couleur exactement, maisonnette, baignoire, maquette de paquebot posée sur un socle, silouhette de la statue de la liberté, rampe de bastingage, banquettes de voiture avec volant, guéridon et ses deux petites chaises et train électrique.Tels de grands jouets pour chambre d'enfant, se définit le monde de Ravel.
Il se prépare pour la traversée de l'Atlantique où une épuisante mais triomphale tournée l'attend.
Nous le suivrons ainsi durant les dix dernières de sa vie .
Célébrité unanimement reconnue, demandée et fêtée, être frêle poursuivi par un ennui existentiel et des insomnies qui lui laissent peu de répit, dandy affirmé aux goût vestimentaires aussi audacieux que recherchés, le célèbre compositeur n'en est pas moins un personnage d'une folle exigence et d'une sévérité impitoyable, ne se privant pas de manifester son mécontentement à Toscanini comme Margueriitte Long s'il ne s'estime pas satisfait.
Caractère ombrageux, sa vie demeure un mystère, sa solitude avérée, égayée seulement par la présence de quelques amis proches et dévoués comme Hélène Jourdan-Morhange ou son voisin de Montfort .
Cette existence à la fois intense et sans joies sera progressivement détruite, après un accident de voitures, par un mal terrifiant qui le privera insidieusement de ses facultés motrices et mémorielles
Ne pouvant plus écrire et composer moins encore, trahi par une mémoires de plus en plus défaillante, affrontant les pires difficultés pour s'exprimer, cet homme qui a depuis son enfance enduré bien des maux qui l'ont déjà considérablement affaibli, torturé à l'idée de "n'avoir encore rien fait" finira par succomber à la trépanation tentée en vain pour le sauver.
Conscient de sa déchéance physique, prisonnier de son propre corps, il mourra en réclamant, dans un moment de rémission, s'exprimant difficilement, la seule présence de sa fidèle femme de ménage.
Cette lente dégradation nous la suivons le coeur serré, comme nous le suivions en souriant dans ses extravagances vestimentaires ou ses mouvements d'humeur souvent injustes, amoureux de sa cote basque natale et des bals du 14 juillet, ou comme nous admirions le compositeur à l'ouvrage et l'amateur de jazz.
Anne-Marie Lazarini signe une mise en scène d'une rare délicatesse et d'une très grande finesse. Elle donne toute sa résonance au beau texte d'Echenoz . Merveilleuse idée de faire évoluer tous les personnages au milieu de cet univers miniaturisé .Et quel excellent choix dans les interprètes.
Trois comédiens et un pianiste parviennent à eux seuls à faire vivre tout un univers.
Michel Ouimet est non seulement saisissant de ressemblance avec son personnage, sanglé dans son costume d'un blanc immaculé , il en rend toute la fragilité et le force à la fois, et confère une authenticité troublante et très émouvante au musicien.
A ses cotés Coco Felgeirolles et Marc Schapira sont aussi formidables, jouant tous les autres personnages avec autant de talent de naturel que de présence.
Bonheur supplémentaire , au piano se succèdent en alternance Andy Emler ou Yvan Robillard.
Et n'allez pas penser que ce spectacle ne s'adresse qu'aux mélomanes.
Tout est dosé d'une balance d'orfèvre, laissez-vous entrainer dans cette pure symphonie théâtrale du meilleur goût, aussi délicate et sensible que son héros.
Bref, un régal.