« Neige noire ».
Contenu dans son titre, cette biographie de Billy Holiday, évoque sous l’angle de la dualité, voire de l’opposition, entre fiction et réalité, la difficile existence de la chanteuse.
Sans gommer aucune des épreuves qui ont jalonné la vie de cette enfant abandonnée par son père guitariste de jazz, violée par un voisin à l’âge de onze ans, passée en maison de redressement avant de rejoindre sa mère dans un bordel à quatorze ans , Eleanora Fagan , devenue Billie Holiday, réussit à s’imposer dans une Amérique sexiste et ségrégationniste pour devenir l’interprète inoubliable, la femme libre, et la première chanteuse « engagée » que l’on ne finit pas de réécouter, émotion intacte des dizaines d’années après sa disparition prématurée en 1959, à l’âge de quarante-quatre ans, détruite par la drogue et l’alcool.
Aucun pathos, donc, mais un duo qui pourrait rappeler celui de Foutite et Chocolat .
Elle, Samantha Lavital, belle grande, imposante, joue à la perfection l’enfant du sud, la Grand-Mère adorée trop tôt disparue, et la jeune fille opiniâtre, se fondant sur les exemples de ses ainées comme Diana Wasington qui parvient au sommet de la gloire et joue avec les meilleurs orchestres comme elle entretient avec Lester Young une amitié complice.
Sa voix puissante et magnifique, module avec caractère dans un style très personnel le plus grandes chansons de Lady Day.
Aux côtés de Billie, Philippe Gouin, petit et blanc, comédien, musicien et clown tout à la fois, est le narrateur en contre point de ce récit enjolivé
Les talents conjugués de ce duo mal assorti fonctionne à merveille.
Dans la succession de tableaux évoquant la vie de la chanteuse, il passe avec virtuosité du rôle de l’horrible propriétaire du Sud à celui de saxophoniste de jazz, campe dans une scène d’un comique achevé la figure d’un producteur véreux d’ Hollywood, cul de jatte en bottes de cow-boy et langue serpentine. Agile comme un elfe, il passe par tous ces registres avec une belle énergie et un charme particulier.
Le « mur » de vielles valises empilées, cabossées et disparates confère au spectacle, dès le début, une dimension de tristesse teintée de poêsie. Dans cette scénographie très simple et très réussie, Cécile Delestre a imaginé des couvercles qui s’ouvrent sur de minuscules décors : ici une chambre de maison close avec seulement une lampe et son abat-jour écarlate, là on accroche une jolie robe blanche de fillette tachée de sang une fois retournée, ailleurs c’est un vieux plateau de phonographe qui tourne, sans oublier cet énorme cornet acoustique qui sert aussi de bouquet de fleurs.
Des flocons de neige, comme dans un mauvais conte de fée, tombent des cintres.
Dans cet espace intime, le public se retrouve comme au cabaret.
Au final, quand Billie apparait telle une star moulée dans son long fourreau rouge éclatant, gants longs assortis, pour interpréter « Strange Fruit », c’est toute la salle Copi qui chavire.
Généreux les artistes nous offriront un bis.
Il vous reste une semaine pour courir à Vincennes.
La réussite de votre soirée est assurée.