Pour décor, une table élégamment dressée, en bord de plateau.
En fond de scène, sous des néons, derrière un capharnaüm de bouteilles et divers contenants, une cuisine vieillotte et sombre.
Au sol, disséminés, quelques vieux postes de télévisions.
La pièce est tirée du film éponyme de Louis Malle.
Dès la projection du prologue sur les écrans, l'hilarité s'installe.
Elle ne nous quittera plus de toute la représentation;
Après avoir suivi à la télévision le trajet de Wallace Shawn, écrivain désargenté à la situation précaire, nous le retrouvons sur le plateau arrivant au restaurant où le rejoint son ami André Gregory, metteur en scène riche et célèbre revenu après plusieurs années de disparition.
Repas de retrouvailles.
Moment de confidences et d' interrogations pour Grégory.
En partie compensée par la gastronomie, moment d'écoute forcée pour Willy.
Insatisfait et torturé, traversant une crise existentielle profonde, André, impose à son camarade un récit ahurissant de ses multiples et vaines expériences à travers le monde .
Festival d'incongruités les plus cocasses, toutes énoncées avec cet accent qui fait nos délices, nous passons de la recherche de "l'impulsion libératrice" dans la forêt polonaise entouré de volontaires féminines nues, à Edimbourg où un éminent mathématicien fait connaissance dans un parc avec un faune qui veut à tout prix lui présenter Pan, passant encore par le Sahara où il découvre " Le Petit Prince" comme un oeuvre fasciste et homosexuelle. L'épisode de la construction d'un toit, sans charpente, mais qui s'ouvre pour laisser entrer le soucoupes volantes à l'intérieur, est aussi un grand moment de folle absurdité.
Toujours pédagogue, posément, pénétré, il inflige à son ami, tel Sherazade, le récit de sa quête impossible.
Bien enveloppé, Barbe fleurie, l'air bonhomme, le compère opine du chef, s'autorise parfois de brèves remarques et poursuit son dîner benoîtement.
Quand, patience épuisée, agacement à son comble, Wallace, le pragmatique terre à terre fait valoir sa vision de la vie, le comique prend un nouveau tour.On descend de l'Everest, c'est au bar-tabac du coin que tout arrive.
Imperturbablement le repas quatre services se déroule.
Au café, des chocolats offerts aussi au public.
L'ultime réflexion évoque le sens de la vie et de la mort.
Simple, court et profond.
Depuis leur découverte, le travail des Flamands suscite toute mon admiration, comme " Mademoiselle Else " ou "L'homme au crane rasé " pour ne citer que les plus récents.
Malingre et chauve, désespéré mais persévérant, l'André de Petre Van Den Eede( déjà remarqué dans " L'homme au crane rasé ") compose avec l'impécunieux mais bon vivant Wallace du merveilleux Damiaan De Shriver un duo magnifique, subtil et ironique, d'un naturel où se confondent jeu d' acteurs et complicité avec le public.
Inanité de la vie et de l'art.
Humour désabusé et magnifique.
Du très grand art.
"My dinner with André" atteint au prodige.