De sa judéité et d’une enfance pendant la guerre marquée au sceau de la tragédie, Jean Claude Grumberg, alias «Pleurnichard», a fait le socle d’une œuvre créée au prisme de la dérision et de l’absurde pour toujours atteindre aux sommets d’un comique absolu.
Le titre de ce court et dernier opus ne déroge pas à la règle: «Moman pourquoi les méchants sont méchants?», texte à l’unisson.
Nous voici devant quelques planches mal équarries que ferment d’improbables pans de tissus griffonnés à la fois cloisons, rideaux ou draps de lit.
Précaire logement d’une mère et de son fils.
Hervé Pierre, habillé d’un long tablier-chasuble noir, sera la mère.
Clotilde Mollet, en culotte trop courte, le fils.
Insolite et ironique inversion des rôles.
«Fils unique préféré», «Loustiti chéri», n’aura de cesse de questionner «Moman».
Sa curiosité est insatiable, ses peurs obsédantes, ses interrogations sans fin.
Les échanges, toujours hauts en couleurs, évoquent les «coupures d’électrique», préconisent de «sucer les clés» en dessert pour leur excellente «teneur en fer». L’absence du père se justifie «par sa trop grande nervosité, ponctuée par «D’ailleurs tout le monde est trop nerveux»
Vivement contestée pour son invraisemblance avec la «vraie guerre», l’enfant reste incrédule face à aux évocations du grand-père mu par la «nécessité de changer de nom et se cacher à la campagne».
Ne pas être assez « adurci» conduit Moman à boire du «chasse cafard» ponctué par cette laconique conclusion de « Chipounet »:«Le rouge chasse le noir» et d’entendre Moman ajouter, ivre et pitoyable «maintenant la blouse (blues) me tombe dessus».
Plus drôle encore.
Hervé Pierre, travesti touchant, nous fait encore ici la démonstration de son très grand talent de comédien. Maman exaspérée, usée, souvent à court d’argument, s’efforçant de toujours trouver, à sa façon, les réponses convaincantes,
d’afficher une autorité bienveillante et de calmer les tourments d’un enfant aussi malheureux qu’elle-même.
Clotilde Mollet, déjà bien dans le rôle du fiston, se dépasse dans la seconde partie. Elle donne tout son relief à cette vieille femme solitaire usée, fantasque, exigeant de son fils de se faire appeler «Madame» pour le seul plaisir de s’entendre attribuer ce respectueux substantif. Et elle se livre encore à la longue énumération des interdits imposés par la faculté : « Il faut bien que je me soigne, je ne suis jamais malade » traduction dans les faits de son refus de cuisiner ses boulettes, délices espérés et attendus par son fils.
On ne peut qu’applaudir à ce spectacle choral dans lequel l’engagement et le plaisir de jouer ensemble illustrent le désir de faire vivre cette ode touchante et décalée, ces merveilleuses
inventions langagières, à la mère de l’auteur, femme simple, aimante et si courageuse face à l’adversité et la précarité de son existence.
La mise en scène du trio Noémie Pierre Clotilde Mollet et Hervé Pierre respire de toute la singularité grumbérienne,
Triomphe du rire, et de l’amour dans le malheur
Cocasserie, humour, et tendresse sont la marque de ce spectacle abouti
Encore une très jolie soirée assurée.