Prodiges de comédiennes.
Lulu se devait de renouer avec la dramaturge italienne aujourd’hui unanimement reconnue.
Toujours sensible aux problèmes de la société, dans ce nouvel opus Emma Dante aborde ceux de la maternité et de la violence faite aux femmes.
Fidèle à ses origines sicilienne, l’action se situe dans un milieu très pauvre, ses personnages ne s’expriment que dans un mélange de dialectes de Sicile et des Pouilles.
Fidèle aussi à son tempérament, ses protagonistes sont en tout excessifs.
Un parti pris assumé.
Sur un plateau nu trois femmes assises en ligne. Elles tricotent avec ardeur.
Entre deux d’entre elles, aussi sur sa chaise, un grand enfant, très maigre, habillé d’un sac informe, s’agite en mouvements saccadés.
Après quelques chuchotements échangés entre deux des femmes éclate une violente altercation qui va les opposer à la troisième.
Celle-ci, soupçonnée d’avoir «volé»l’intérieur d’un sandwich de l’une d’elles, furieuse de cette «privation», se voit encore accuser de «voler» dans la poubelle d’où provient la robe informe portée par l’enfant, un garçon.
Sordides et dérisoires prétextes révélateurs de grande misère.
Violentes invectives, échanges de jurons, crêpage de chignon, perturbent davantage encore le gamin squelettique qui à son tour se lève pour entamer une danse frénétique.
Spectaculaire première scène. Répliques, grands gestes, accents hauts en couleur restituent formidablement une situation qu’on imagine sans issue
Bienvenue chez ces malheureuses et leur «schizophrène» de «fils»
Puis, forme d’exutoire, soudaine échappatoire, plus folles encore.
Véritablement prodigieuses, les comédiennes, ces harengères déchaînées, entament chacune un numéro d’effeuillage insensé, transformées, telles les danseuses du Craisy Horse.
Arthur, le garçon n’est pas en reste.
Disgracieuses anatomies dévoilées, gestes ultra suggestifs, poses des plus lascives,
Toutes les audaces sont ici réunies accompagnées d’une tonitruante musique.
Impressionnante réussite.
Le malaise s’alourdit.
Rapporté par l’une d’elles, le récit du calvaire de la mère du petit, battue à mort par le père qui ne voulait pas l’enfant.
Dénonciation essentielle pour Emma Dante.
Souvent très efficace, ici grandiloquent par ses outrances, le récit dessert la juste cause.
On l’aurait souhaité plus convaincant.
Par bribes, on découvre que cette trinité féminine prépare Arturo à la séparation.
Elles vont le confier à un établissement qu’elles espèrent mieux adapté et elles en vantent toutes les qualité de confort qui manquent à leur masure insalubre.
Pour ce départ, avec un sens du burlesque paroxystique, chacune évoque un souvenir de sa petite enfance, chacune étant «mère» comme elle le peut.
Au son d’une fanfare, le pantin désarticulé enfin habillé comme un adolescent, esquissera un sourire béat.
Pour l’essentiel gestuel et «dansé», le spectacle relève d’une virtuosité époustouflante chez les interprètes. Mesdames Italia Carrocio, Manuele La Sicco, et Leonarda Saffi sont les trois étonnantes, fortes, singulières, admirables de présence et d’engagement.
Plus sidérant encore, Simone Zambelli, crâne rasé et en couche-culotte, réalise une incroyable performance dans le rôle d’ Arturo.
Ses «danses» désarticulées que rien ne calme ni n’arrête, ses mouvements mécaniques, ses sautes d’humeur, donnent lieu à des scènes d’anthologie visuelle aussi délirantes que dans les films de Buster Keaton ou Chaplin.
Saluons un génie de sa génération.
Si cette rupture se veut une note d’espoir pour Emma Dante,
Lulu l’a davantage ressentie tel un abandon, une trahison des trois «Parques» ainsi définies par l’auteur dans son interview.
En dépit de son style incomparable, de sa sensibilité profonde,
Le culte de l’excès ainsi pratiqué l’éloigne du but recherché.
La caricature l’emporte sur l’émotion.
Une relative déception.