Dernièrement dans cette même salle, chronique mai 2018, Lulu a assisté à un De Gaulle Chruchill :« Meilleurs Aliiés » déjà mis en scène par Jean-Claude Idée.
La saison dernière s’est ouverte avec un « Dialogue aux Enfers » entre Diderot et Machiavel , Lulu d’octobre 2018 , qui a connu un beau succès public ; l’auteur Jean-Claude Brisville dont c’était la marque de fabrique, était passé maître en la matière : réunissant Fouquet et Talleyrand « Le Souper » demeure la plus célèbre de ses pièces.
Dévoilements de secrets bien gardés, échanges à fleuret moucheté, les personnages de premier plan constituent le « matériau » idéal pour des auteurs jouant à la fois sur un certain « voyeurisme » de bon aloi et une pédagogie jubilatoire.
Ici rien de souriant.
Nous sommes en 1944, dans un pavillon jouxtant le camp de concentration de Buchenwald.
Livrés aux nazis comme otages par Pétain, Léon Blum et Georges Mandel y sont prisonniers.
Ayant chacun joué un rôle majeur dans la politique de la France d’avant -guerre, les deux hommes s’opposent sur leur idéologie respective.
Blum socialiste, admire Jaurès sans réserve,
Mandel, ancien secrétaire de Clemenceau, défend son mentor.
A Blum, Mandel reproche son idéalisme , sa « mollesse »
A Mandel, Blum fait grief de son « cynisme » de sa soif d’autorité.
Les deux discutent, évoquent, confrontent, non sans ironie parfois, leur parcours respectifs, les décisions prises lors de leur passage aux affaires, leur injustifiable mise en cause après l’armistice.
Dans ces souvenirs, les raisons de la défaite occupent la place essentielle.
De loin le sujet le plus douloureux pour chacun.
Durant ces heures sombres, vécues dans l’incertitude de l’avenir mêlée d’espoir en la victoire espérée : la nouvelle du débarquement allié leur est parvenue,
l’assassinat de Philippe Henriot mettra un terme tragique.
En représailles, l’un des deux sera fusillé.
Solidement étayée par les connaissances de l’auteur, historien reconnu et producteur sur France Culture,
Jean-Noël Jeanneney nous brosse un tableau très documenté de l’époque , de ses déchirements, ses soubresauts.
Parfois un peu longues, ces évocations nous touchent par les portraits de leurs protagonistes,
Ces hommes sincères, irréprochables dans leurs engagements, à l’activité dévorante dédiée au service de l’État, conscients de leurs responsabilités, et partageant une haute idée de la France.
D’origine juive, républicains convaincus,indéfectibles dans leur attachement à la patrie, taraudés par l’idée de passer pour des déserteurs, malgré les possibilités qui s’offraient à eux, tous deux ont renoncé à l’exil salvateur.
Remis à la Milice, Mandel sera retrouvé en forêt de Fontainebleau tué de douze balles dans le dos.
Tout en rondeur, Emmanuel Dechartre en Blum, déploie un profond humanisme teinté d’ indulgence et d’une foi en l’homme à laquelle, s’oppose , plus brutal, cassant, intransigeant, mais non moins attachant le Mandel de Christophe Barbier.
Dans ce huis clos les deux interprètes se répondent parfaitement.
Tragédie du sacrifice, ignominie du temps.
Des faits utiles à rappeler de nos jours.
Des mémoires qu’il est juste d’honorer.
Un spectacle dont on ressort le coeur étreint.