Exécrables conditions.
Mémorable soirée.
Après " Mac Beth", " Lucrèce".
Autre portrait du mal, inspiré cette fois par un personnage historique, incarnation du vice sous toutes ses formes. Auteur d'assassinats et d'empoisonnements, coupable de luxure et d'inceste, à la noirceur sans limite de Lucrèce s'oppose la pure, noble et chevaleresque figure de son fils incestueux, Gennaro, jeune homme vouant un amour sans borne à cette mère inconnue dont il garde sur le cœur les lettres reçues une fois l'an.
Mortelle rencontre, placée sous le signe du "Fatum" des tragédies antiques.
Lucrèce, après s'être révélée une mère aimante et désespérée périra de la main de cet enfant qui se découvre parricide de la bouche même de celle sur qui sa justice vient de s'abattre.
Drame de la démesure, pièce de souffre, de sang, de stupre et de larmes; et cependant pièce d'amour.
Ici, de mélodrame, aucun.
Un opéra des ténèbres, assurément.
Une obscure beauté inonde le spectacle.
Beauté des décors signés Eric Ruef à l'atmosphère toujours oppressante, de cette Venise évoquée avec quelques pieux entourant la gondole sur laquelle repose Gennaro, devant des cieux tourmentés figurant en fond de scène, jusqu'au palais de Don Alphonse et la salle des fêtes de la Princesse Négroni.
Beauté des lumières de Stéphanie Daniel qui baigne tout le spectacle de ses éclairages inquiétants.
Elégance parfaite des costumes de Christian Lacroix que je n'avais pas vu aussi inspiré depuis longtemps.
Dramatique scansion imprimée à l'intrigue par la musique de Bernard Vallery.
Tout aussi réussie la mise en scène de Denis Podalydès qui fait entendre comme un chant funèbre cette œuvre terrible, à la sombre flamboyance, aux accents parfois déchirants.
Si un homme ne s'imposait pas à mes yeux pour interpréter Lucrèce, Guillaume Gallienne y déploie un talent admirable. Jeu tout en retenue et en intensité, bouleversant dans sa scène face au Duc, véritablement pathétique , à la fin, face à Gennaro .
Eric Ruf est un splendide époux dévoré par la jalousie, machiavélique à son tour. Prestance, élocution parfaite, incontestable d' autorité.
Suliane Brahim incarne Gennaro: jeu de travestissements oblige. Passés ses tressautements et gestes brusques de la première scène pour affirmer une virilité pas vraiment convaincante, elle se révèle beaucoup plus touchante en fils évoquant une mère sublimée.
Le reste de la distribution nous révèle Stéphane Varupenne, fringant Maffio Orsini, entouré d'une troupe sans reproches à l'exception de Christian Hecq. Trahi par son phrasé si particulier, lui dont j'ai si souvent vanté le jeu, nous prive de la quasi totalité du texte...
Par ce filtre puissant il faut se laisser enivrer.
Ne jamais manquer de si précieux moments
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