Ses spectacles suivants ne nous ont causé que déception et ennui : « Tempête sous un crane » suivi cet hiver de « La bonne âme de Sétchouan ».
Guidé par le même souci de donner à voir des œuvres pétries d’humanité et généreuses, il inaugure son nouveau mandat de directeur de St-Denis avec « Liliom » dont Frizt Lang nous a laissé un inoubliable chef d’œuvre.
Dans son texte de présentation pour cette pièce écrite en 1906, l’auteur hongrois Ferenc Molnar revendique son droit à la naïveté, et imagine le spectateur s’interrogeant :
« Ce conte est-il une rêverie ? ».
De cette « naïveté » de cette « rêverie » naitra une pièce unique, d’une poésie accomplie, d’une rare étrangeté, dans laquelle l’onirisme sublime admirablement la dénonciation sociale.
La tristesse la plus désespérante scellera la destinée de Liliom, le bonimenteur de foire, employé de manège, et celle de Julie, la petite bonne, devenue sa compagne, qui s’accroche, résolue et stoïque.
Deux êtres simples,
Deux vies sans issue.
Deux sacrifiés de la misère.
Mais deux êtres qui n’auront pas plié : résistant, pour le premier aux avances de la patronne au risque de prendre part à un mauvais coup fatal, pour l’autre, enceinte de Liliom au chômage, aux demandes en mariage d’un riche tourneur qui lui assurerait un avenir confortable.
Comme plus tard, dans « Caroline et Casimir » d’Otto Von Horvath, l’action se situe dans une foire.
La gaité factice règne sur les lieux.
La désespérance profonde en émane.
La poésie en illumine la noirceur.
N’hésitant pas à prendre bien des libertés avec le texte d’origine, l’adaptation nous gratifie de tournures anachroniques, de répliques ajoutées faisant allusion à l’actualité immédiate.
Suivant la même démarche, les personnages évoluent autour d’un stand d’autos-tamponneuses et non plus d’un manège ; les costumes modernes se composent des inévitables blousons de survêtement zippés, aux pieds , les incontournables baskets.
Toujours dans le même esprit, les agents se voient métamorphosés en « Dupon-t et Dupon-d », et se livrent à un numéro à prétention burlesque, hélas pitoyable.
Préférant mettre l’accent sur le côté drame social, de l‘esprit » Mittel Europa », empli de cet ineffable charme nostalgique, Jean Bellorini ne parvient restituer que trop rarement l’atmosphère dans quelques scènes touchantes :
Celle du jugement au ciel : tous suspendus dans les cintres, les anges dans la roulotte, le Père sur l’escarpolette, les suicidés sur leur nacelle élévatrice.
Très prenante aussi, la mort de Liliom, corps pantelant gisant dans la voiture électrique, Julie silencieuse à ses côtés, l’écoutant, les lumières éteintes.
Assurément, Julien Bouanich et Amandine Calsat, apportent à leur personnage l’intensité, la fraicheur, la justesse de leur jeunesse.
Tous deux sont excellents.
Le reste de la distribution demeure inégale.
Déployant aussi les grands moyens pour le décor, stand de foire fonctionnant véritablement, toit escamotable, roue géante lumineuse tournant dans la nuit, Jean Bellorini tombe à nouveau dans le piège de la démonstration didactique, lourde, appuyée, qui abaisse plutôt qu’elle n’élève le spectateur.
A force de vouloir convaincre, ses effets paraissent aussi exagérés que nous paraissent aujourd’hui ridicules et disproportionnés les effets de manches et le ton emphatique, déclamatoire des tragédiens d’antan.
Le public serait-il donc si sot, incapable de comprendre, d’apprécier par lui lui-même ce texte d’une beauté cristalline ?...