Sur le plateau deux bastingages pour s’appuyer, quelques cubes blancs pour siège. De longs rideaux translucides à cour et jardin s’ornent de grands tracés abstraits blancs aussi.
Tel est le cadre dépouillé, sans ornements, dans lequel va se jouer l’intrigue de « L’Heureux Stratagème »,
Conçu à partir d’un portrait de femme émancipée, La Comtesse, grande coquette, devenue Don Juan en jupons, (ici en robe de tricot gris ou cotillon court beigeasse) revendiquant sans fards, à l’égal des hommes, le droit à l’infidélité :
« Ont-ils là-dessus des privilèges que nous n’ayons pas ? » déclare-t-elle à sa servante Lisette qui lui reproche de délaisser Dorante au profit du Chevalier,
Avant de s’esclaffer :
« Infidèle, crois-tu me faire peur avec ce mot- là ?».
Forte de sa démonstration, comtesse, rivale délaissée, amoureux et soupirant, valets et soubrette,
Jouant de leur véritables sentiments, piégés par leur stratagème,
« Victimes » de leurs caprices, ou jouets de leurs maîtres,
Entrainés dans les situations les plus contraires à leur désir,
Découvriront le prix de la souffrance,
Pour qu’enfin triomphe l’amour.
Pièce magnifique, « Véritable précipité des thèmes qui traversent l’oeuvre Marivaux » comme l’écrit justement Emmanuel Daumas, on aurait souhaité qu’il la servît de même.
Non pas que les comédiens fussent mauvais.
Véritablement déchirant quand il se voit interdit de convoler avec sa bien-aimée, cœur pur et sincère, Loïc Corbery campe un Arlequin bouleversant de douleur ;
En Frontin, valet du Chevalier, Eric Genovèse allie à merveille rouerie, insolence et opportunisme ;
Singeant sa maitresse, Jennifer Decker en Lisette manifeste son aisance entre effronterie et sincérité retrouvée,
Véritablement irrésistible, Laurent Lafitte campe le plus hâbleur des Chevaliers gascons qui se puisse rencontrer, distillant, avec un comique achevé, ses fadaises et rodomontades. Chacune de ses interventions sur le plateau souligne tout le ridicule, la bouffonnerie du personnage ;
Et dans le rôle de Blaise, père de Lisette, qui ne cède en rien sur le projet de mariage conclu pour sa fille, Nicolas Lormeau déploie un talent irrésistible en paysan obtus exprimant toute sa rusticité en un savoureux patois.
A force de « modernité » si la Comtesse de Claire de la Rue du Can parait fort convaincante dans sa volonté affichée de femme « libre » au début de la pièce, la voir se rouler par terre, trépigner, pousser des cris perçants quand elle constate les funestes conséquences de son attitude, rend le personnage aussi peu crédible que grotesque à la fin de la pièce.
Sans véritable relief, le Dorante massif de Jérôme Pouly perd lui aussi toute vraisemblance quand, secoué de gros sanglots sonores, il déclare sa flamme à la comtesse.
Ces débordements nerveux provoqués par la Marquise, Julie Sicard, acide à faire douter de sa capacité à aimer,
Anéantissent toute l’élégance cruelle de Marivaux par ces attitudes peu conformes à la subtilité des protagonistes
Perdant toute retenue pour se laisser aller à ces bruyantes manifestations.
Le nadir de notre ire se porte sur les refrains en ANGLAIS, chantés en chœur, qui mettent en exergue, soulignent, rythment et concluent chaque acte de la pièce. Shame, shame, shame…..
Inadmissibles enfin, à la Comédie Française, les amputations du texte provoquées par le dispositif bi-frontal : inaudibles par pans entiers, les répliques énoncées de l’autre côté du plateau.
S’il faut rendre justice à Emmanuel Daumas d’avoir donné tout leur relief et la force des sentiments de chacun, celle des mouvements du cœur, versatilité comme fidélité, et souligner les rivalités comme l’arbitraire des puissants,
Avec des comédiens exceptionnels dans leur ensemble,
Notre sévérité vient sanctionner sans faiblesse ses « injustifiables » manquements à l’esprit des lumières.