A ces "Serments Indiscrets" je réserve une admiration sans limite, subjuguée et éblouie par cette représentation de la plus cruelle des pièces de Marivaux, la plus belle depuis Les Fausses Confidences mise en scène en 2010 par Didier Bezace avec Pierre Arditi.
Frappés par l'amour, les principaux protagonistes de Marivaux, deviennent toujours leurs propres victimes.
Pour le nier, s'y soustraire, ils y consacrent tous leurs soins, déploient les stratagèmes les plus ingénieux, tiennent les raisonnements les plus fallacieux.
Le triomhe des sentiments ne survient qu'après bien des violences faites à soi-même, et d'épreuves subies par les "amants".
Dans Les Serments Indiscrets les chemins tortueux de l'amour deviennent torturant.
Ils donnent des vertiges, poussent au paroxysme les douleurs ressenties par des coeurs qui nient l'évidence.
Lucile et Damis refusent le mariage souhaité par leurs pères, amis de toujours.
Se croyant liée par le serment pour éviter cette union, Lucile, par son aveuglement délibérée, connaîtra les blessures, les morsures et les brûlures de l'âme et du coeur, les transes et les transports où la conduiront son attitude aussi déterminée qu'injustifiée.
"Ma fille est folle" finira par dire son père.
Damis subira avec une constance bouleversante ces égarements, prisonnier lui aussi de son sens de l'honneur, de la fidélité à la parole donnée, en dépit de la passion qu'il nourrit pour Lucile.
Suivante et valet déploieront toute leur habileté pour dénouer la situation, tout comme Phénice, la soeur cadette de Lucile, Ergaste et Orgon les tendres pères de ces enfants surprenants.
Je souhaiterais vous faire partager le côté incandescent de cette pièce où toutes les facettes de la passion sont décrites par son auteur avec toute la maîtrise, l'élégance et la subtilité du Siècle des Lumières.
Pénétration des coeurs d'une finesse inégalée, descriptions des ardeurs dévorantes et méandres des élans, sont toujours contenus.
Christophe Rauck sert le texte avec une rare intelligence et une sensibilité à fleur de peau.
Il fait résonner jusqu'au moindre frémissement du texte, comme résonne en contrepoint chaque réplique, frappée au coin du bon sens, des autres personnages confondus, interloqués, par l'attitude des promis.
Il faut souligner l'excellence, je pèse mes mots, de chacun des interprètes et, chose rare, leur parfaite diction.
Lucile vacille en permanence au bord du gouffre dans lequel elle manque s'engloutir.
Cécile Garcia Fogel lui donne toute sa fragilité et son ardeur dévorante et dévastatrice.
Pierre-François Garel est un Damis renversant, digne de figurer parmi nos jeunes premiers les plus brillants.
Il nous fait partager ses affres et ses souffrances avec une rare sincérité et un talent exceptionnel.
Son physique de plus, lui confère tout le charme et la séduction requis par le rôle.
Que dire de Lisette, la suivante jouée par Hélène Schwaller, sinon qu'elle suscite les ovations d'un public qui n'est pas coutumier du fait.
Il en est de même pour Marc Chouppart, le valet Frontin, qui révèle comme personne toutes les facettes de ce personnage roué s'évertuant à toujours tirer profit de la situation.
Sabrina Kouroughli a toute la fraîcheur et l'esprit de cette soeur cadette enjouée et spirituelle et les pères ,Ergaste Marc Susini et Orgon, Alain Tretout, subissent avec tendresse et bonhommie les caprices d'enfants qui mettent leur patience et leur affection à rude épreuve.
La scénographie d'Aurélie Thomas suggère, par la transparence de ses voiles déployés à la lumière de chandelles véritables, de quelques meubles de style, de projections de fêtes galantes, l'univers de Marivaux rendu aussi très contemporain par les costumes XVIIIeme simplement portés sur des vêtements modernes.
Saint Denis le bout du monde?
Une véritable expédition!
Elle ne se justifie pas, elle s'impose à tous.
Etourdissant Marivaux.
Il n'est pas permis de passer à côté d'un spectacle de cette qualité.