Il suffit de nous souvenir de sa mise en scène du Revizor de Gogol, avec Roland Bertin et Denis Podalydès, pour se réjouir de cette nouvelle collaboration avec la troupe qu’il connait bien ;
Et se réjouir aussi du choix de l’auteur italien, avec la reprise des « Rustres »
Pièce follement enlevée follement audacieuse,
Dénonçant l’obscurantisme, masculin,
Vaincu par la perspicacité, féminine,
Symboles respectifs d’un monde déclinant,
Face aux progrès des Lumières.
L’intrigue réunit quatre familles bourgeoises vénitiennes.
Toutes se connaissent, se fréquentent, vivent en vase clos ;
Elles ont en commun d’être chacune dirigée par des maris et pères, tyranniques, violents, bornés, vindicatifs.
Tenant épouses et enfants reclus,
Privés de tout divertissement, Interdits de la moindre coquetterie.
Disputes et cris sont la règle dans ces harmonieux foyers.
Quand Canciano décide de marier sa fille Lucietta au fils de son ami Maurizio,
Sans que les promis ne puissent se rencontrer,
La fine Felice, seule de ces dames à savoir en imposer à son époux et mener joyeuse existence,
Tout en parvenant à convaincre Marguerita, la belle-mère de Lucietta, et Marina, tante du fiancé,
Décide de mettre au point un stratagème favorisant une entrevue aux promis.
La supercherie dévoilée entrainera la suspension du mariage.
Hors d’eux, fous de colère, ces messieurs réunis,
Evoqueront pour leurs épouses les pires châtiments.
A l’écoute de ces terrifiantes résolutions,
L’habile Felice, voix de l’intelligence, de la pondération, et de la liberté,
Verra couronner de succès son intervention pacificatrice,
Auprès des bourgeois vaincus à leur corps défendant.
Le mariage sera célébré,
Autour d’un diner trop longtemps retardé.
Cette fois encore Christian Hecq, Lunardo, marque la soirée de son style inimitable, inattendu, délirant : mimiques, postures, mouvements désarticulés, élocution et phrasé sans pareil, il déploie une folie rugueuse et brutale, rugit, grogne, geint, gesticule, toujours singulier, jamais caricatural, immanquablement d’un comique achevé.
A ses côtés, écrasante stature de géant et mugissements redoutables, Bruno Rafaelli, Simon, produit aussi un bel effet comique.
En contre-point, berné et résigné face à son épouse, Gérard Giroudon est un Canciaro influençable et versatile.
Redoutable encore de sévérité injustifiée face à son fils maltraité depuis toujours, Nicolas Lormeau est Maurizio. Borné, sa vie se résume à exiger l’exécution sans réplique des ordres signifiés au jeune homme.
Du coté des femmes, sont réunies :
Coraly Zahonero, seconde femme de Leonardo. Tiraillée entre mari et belle-fille elle se débat sans grand succès en fonction de la situation du moment ou de ses intérêts ;
Rebecca Marder fait son entrée dans la Maison dans le rôle de Lucietta : avant elle, d’autres jeunes débutantes m’ont davantage éblouie.
Quant à Céline Samie, Marina femme de Simon, il faut la voir s’opposer à son ours mal léché de mari. Leurs échanges verbaux se résument d’admirables concours de vociférations.
C’est à Clotilde de Bayser que revient le beau rôle de Felice. Elle prend visiblement plaisir à incarner cette fine mouche qui triomphe de ces buses rétrogrades. Plus élégante, plus légère, plus spirituelle encore, sa victoire n’en eût été que plus éclatante
Venons-en au décor d’Alain Chambon. Assez bien vu ce rideau de fer qui permet les changements de décor et souligne l’enfermement en front de plateau.
Mais ces couleurs jaunasses, brunasses, ces pièces comme rétrécies ? Signification limpide, mais superflue,
Une ternissure incompatible avec l’esprit d’alacrité de l’auteur.
Comme eût été préférable une partition moins surjouée, des acteurs forçant moins la voix,
Ainsi que l’impose Jean-Louis Benoit.
Et voilà Lulu ronchonne !
Le texte revêt une résonnance particulièrement forte, sensible, aujourd’hui plus que jamais.
Mais le plus extraordinaire du Vénitien mort à Paris dans la misère,
Se résume à cette simplicité, ce naturel, cette gaité,
A l’exclusion de toute pesanteur didactique,
Au service d’idées nouvelles, généreuses,
« Savoir amuser le public pour pouvoir l’instruire »