Assise sur sa chaise Louis XV, jambes croisées, longs gants et robe noire, étole incarnat, fine barbe en collier et yeux d’azur, au son d’une exquise valse de Chopin, telle une maitresse d’école surveillant l’entrée de ses élèves dans la classe, elle nous observe tandis que nous prenons place.
Elle, plutôt lui car le rôle est joué par un travesti, l’excellent Martin Juvanon du Vachat, va incarner la baronne Staffe, alias Blanche Augustine Soyer, auteur des « Règles de savoir-vivre » livre paru en 1899 .
Bréviaire de bonnes manières érigeant les conventions au rang d’une morale, énumérées tels d’immuables rituels à observer avec le plus grand respect, déjà irrésistible en soi, le texte devient soudain aussi corrosif que cruel par les brefs ajouts d’un Jean-Luc Lagarce se sachant déjà condamné par la maladie.
« Naître ce n’est pas compliqué, mourir c’est très facile, vivre entre ces deux évènements ce n’est pas nécessairement impossible. Il n’est question que de suivre les règles et d’appliquer les principes et de s’en accommoder. »
Ainsi débute notre « cours » dispensé par cette femme qui se rêve femme du monde alors que son existence s’est déroulée dans la solitude d’un pavillon de Savigny sur Orge où elle se « grise » véritablement des règles, codes, protocoles et usages du « grand monde » .
De la déclaration de naissance, envisagée dans tous les cas de figures, y compris le bébé mort-né, ponctué d’un laconique « possible, envisageable », le choix capital du parrain et de la marraine « préférer les personnes sans enfants », en passant par les fiançailles » vigilance sur les vices secrets, financiers ou génétiques » , le mariage qualifié d’ » affaire matrimoniale, car affaire » le veuvage qui implique pour la veuve qui se remarie de « garder sa première alliance et d’y superposer la seconde et ainsi de suite »les noces d’argent et d’or » cinquante années d’heureuse union, n’auraient-elles pas été heureuses, on les célèbrera quand même » jusqu’aux deuils que l’on quitte progressivement en passant par les couleurs « pensée et lilas » tout n’est qu’apparences, décorum derrière lesquels seuls règnent intérêt et égoïsme. « L’homme dont la position est médiocre, il en est, ne s’offrira pas comme parrain, fiancé ou quoique ce soit »
Evoquées avec le sérieux d’un philosophe et la précision d’un entomologiste, les détails de ces convenances nous réserve les plus délirantes descriptions de boites de dragées » très révélatrice du goût du parrain » ou de contenu de corbeille de mariage devant comprendre obligatoirement, outre les dentelles, bijoux de famille et étoffes précieuse, des « bande de lophophore .. .dont la solidité autant que la surprenante beauté explique la faveur».
Ne se départissant jamais du sérieux requis par l’importance de sa mission, parfois interrogative mais toujours mesurée, pondérée, et pénétrée, notre baronne, alias Martin Juvanon du Vachat, porte à son nadir ce monologue dévastateur et cynique, qui par son absolue dérision est la parfaite illustration de celle de nos existences et la suprême élégance du désespoir chez l’auteur.
« Il serait bien futile de se laisser déborder par les futilités accessoires que sont les sentiments ».
Pas une fausse note, c’eût été malséant, dans ce spectacle parfaitement dirigé par François Thomas.
Déjà primé dans différent festivals en région ou à Sciences-Po par des Présidents de jury comme Pierre Santini ou Armelle Héliot, il était grand temps que Paris l’accueillît.
Il ne vous reste qu’à vous précipiter aux Déchargeurs.