Dans la salle, coté spectateurs, un immense parralépipède aux cloisons noires percées de longues ouvertures éclairées de tubes de néon. Assis sur des gradins , les spectateurs sont confrontés à leur propre reflet sur les vitres.
A l'intérieur, des murs d'un blanc immaculé. Au sol, blanc éclatant aussi, de longues rangées de bouteilles en verre transparent rythment cet espace fermé . Au-dessus, le vide.
Décor saisissant par sa singularité, sa puissance évocatrice d'un univers clos, passant de la blancheur presque aveuglante à l' obscurité totale entre chacun des actes, nous laissant seuls face à notre propre image.
Ce cadre admirable magnifie la pièce de Fassbinder jusqu'à lui conférer une dimension de tragédie classique, allégorie moderne de drame antique.
Quelle esthétique dans la gestuelle de chacune des comédiennes, quelle maîtrise dans l'utilisation d'accessoires aussi déroutant que ces bouteilles de verre, tour à tour symbole des obstacles de la vie, embûches semées sur un parcours tortueux, devenant couche nuptiale cristalline, et enfin, flacons d'ivresse pour célébrer les bonheurs ou noyer son chagrin.
Jusqu'au bruit sourd des dizaines de matelas chutant des cintres ( ultime refuge de Petra) l'accompagnement sonore est aussi passionnant que les effets d'éclairage remarquables.
Aux interprètes maintenant la dernière rafale de louanges.
Toutes admirables.
Petra von Kant, Bibiana Beglau, alliant beauté hiératique et élégance absolue, dégage une rare puissance dramatique.
Laissant libre cours , sans fard ni retenue à ses états d'âme, aussi froide dans ses moments de lucidité qu'explosive dans ses souffrances, elle est cette héroïne que sa soif d'absolu manquera conduire à sa perte.
Face à un tel sens dramatique, la tragédienne s'impose dans toute sa grandeur.
Andrea Wenzl, Karin Thimm , incarne parfaitement cette étrangère, veule et parasite, qui se jouera de sa bienfaitrice Petra, avec autant d'indifférence que de sens de l'opportunité. Lascive, aussi ordinaire que Petra est distinguée, elle dégage une sensualité sans retenue ni pudeur, se laissant aller à toutes ses envies avec un naturel désarmant.
Là encore on est époustouflé par l'aisance avec laquelle la comédienne joue les scènes les plus érotiques sans jamais tomber dans la pornographie ni la vulgarité. Etonnant, bravo.
Gabrielle,la fille de Petra, a trouvé en Sophie von Kessel, l'exquise jeune première en proie aux premières affres de l'amour. Spontanée, sensible, observatrice, elle apporte une note délicieusement rafraichissante dans un moment oppressant de la pièce. Pas toujours facile, ces rôles. Ici elle incarne le triomphe de la pureté. Lumineux.
Marlene, le factotum de Petra, est Sophie Vob Kessel. Encore une comédienne à la présence si palpable malgré l'effacement de son personnage. Contrastant dans sa robe monacale gris souris face aux extravagantes tenues des deux héroïnes, elle sait parfaitement incarner ce total dévouement fait de renoncements et de silence.
Elisabeth Schwarz, interprète Valerie von Kant, la mère de Petra, Apparition d'une "gretchen" plus vraie que nature, elle se révèle aussi fragile et parvient à être l'incarnation d'une tendresse salvatrice. Touchante vraiment.
Je m'arrête.
Tout fait sens
On sort de ce spectacle comme électrisé.
A l'évidence voilà un premier "Lulu d'Or" qui s'impose.
Monsieur Martin Kusej fait partie du "Cercle des Grands".
Il ne vous reste plus qu'à vous démener pour courir aux Ateliers Berthier.