Dans la sombre scénographie d’Eric Ruf, brutalement tiré de son sommeil par Octave terrifié par le retour de son père,
Surgit en petite tenue, tel un diable sorti de sa boite, notre Scapin, Benjamin Laverhne :
Talent exceptionnel, tempérament hors du commun aussitôt perceptibles.
Crée par Molière, interprété sans grand succès par notre dramaturge de génie deux ans avant sa mort, ce personnage comique possède une part sombre : il se venge ici de toutes les vicissitudes, affronts, menaces, et contraintes vécues par l’auteur qui se permet enfin de s’affranchir et de « régler ses comptes ».
Si Molière ne possédait sans doute plus dans les dernières années de sa vie épuisante l’énergie nécessaire pour le rôle,
Jeune, mince, fougueux, Benjamin Lavernhe, déborde de fantaisie et d’humour et fait montre d’une allègre vigueur que rien ne semble entamer.
Renouant avec la farce, la comédie italienne, l’art des tréteaux, allant jusqu’à prendre le public à témoin dans la fameuse scène du sac, le comédien est étourdissant d’agilité, de malignité, d’habileté, de cruauté, bien que « vaincu » enfin.
Véritable « héros » de la représentation, outre sa stupéfiante alacrité, soulignons encore une diction impeccable pour parfaire son portrait. Dans le long passage sur les multiples dangers et risques encourus par le plaideur face à une justice entièrement corrompue, il atteint à un rare degré de comique ravageur.
A ses côtés brille tout particulièrement un Didier Sandre grimé, méconnaissable, en Géronte vieillard avaricieux patenté. La scène de la bourse insaisissable, force tirage de cordon et escamotage dans les pans du manteau égale les plus grands moments du Français.
Dans le rôle de l’autre père, Gilles David, Argante, ne démérite pas, quand face aux manipulations et arguments du valet roué il finit par renoncer au procès contre son fils. De la détermination à la crainte, enfin convaincu de s’épargner une dépense plus importante, ses hésitations et tergiversations en font une dupe fort réjouissante.
Si La mécanique d’élévation du sac parait une trouvaille originale, elle ralentit jusqu’à enrayer l’effet comique de la bastonnade,
Si la nudité superflue de Scapin face à Zerbinette dans la première scène ne s’imposait pas dramatiquement,
Si Adelyne d’Hermy est pour la première fois peu convaincante dans la scène où elle moque doublement Géronte en lui contant ses propres déboires d’une voix criarde et indistincte,
Si on peut encore reprocher à Bakary Sangaré , Silvestre, valet et faux spadassin, de ne pas être suffisamment audible,
A ces quelques réserves près broutilles sans véritables conséquences, Lulu, esprit tatillon, n’en reconnait pas moins la véritable réussite du spectacle.
Après une « Tempête » plus qu’ « éprouvante »,
Ses louanges viennent se joindre à celles d’un public unanime.
Molière est bien en sa maison.
Son Scapin y rencontre un triomphe auquel on souscrit sans réserve.