« L’Avare » de Molière,( lulu de novembre2013) «Après la Répétion et Persona » d’après Bergman, ( Lulu d’avril 2013) jusqu’à « Marie Stuart » de Schiller(Lulu de mars 2015) : autant de soirées d’anthologie couronnées de nombreux « Lulus d’Or » .
Il a fallu attendre cinq années avant de voir le directeur du Toneelgroep d’Amsterdam programmé « intra-muros », la première fois au Théâtre de la Ville avec « Antigone »( Lulu de Mai 2015) interprétée par Juliette Binoche.
Ont suivi : « Le Pont » d’Arthur Miller aux Ateliers Berthier (Lulu d’Octobre 2015 Lulu d’Or, ),et « Kings of War » à Chaillot( Lulu de Février 2016).
Créé en Avignon dans la cour du Palais des Papes avec la Comédie Française qui célébrait son retour au Festival après de longues années d’absence, le spectacle vient de reprendre à la salle Richelieu.
Pour Lulu pire qu’une déception.
Une trahison, un cuisant échec, une vile imposture.
Habituée aux remarquables scénographies de Jan Versweyveld, son décorateur attitré (souvenez-vous du « ring « de « Vu du pont ») le plateau de la grande salle ne met pas en valeur les tables de maquillages, les portants, les lits, côté jardin, et côté cour, la rangée de cercueils à peine visible.
Sur le devant un appareil curieux, à la fois creuset infernal où les cendres des victimes sont systématiquement déversées, et stridente sirène d’usine rythmant la représentation. En fond de plateau, un grand écran pour la projection des vidéos : sans servir la dramaturgie, un ensemble disparate et hétéroclite.
Dans cette riche famille de grands industriels de la sidérurgie, inspirée de la famille Krupp, Didier Sandre fait merveille en Baron Joachim dont on fête l’anniversaire au lever de rideau.
Sa classe, son élégance, ses attendrissement contenus à l’écoute des compliments et aubade de ses petits- enfants, son incontestable autorité placide face à ses enfants, sont un condensé d’art dramatique.
Là s’arrête notre enthousiasme,
Pour l’interprétation,
Pour le spectacle.
Entre » Dracula « avec toutes ces scènes de visages grimaçants et étouffant dans les cercueils,
Et « Cabaret des Hommes Perdus » avec l’interminable Nuit des Longs Couteaux (la liquidation de tous les membres de la S.A, premiers hommes de main d’Hitler) ;
Prétexte à une très complaisante projection interminable sur grand écran, des hommes nus sur fond orangé, dansent avant de s’étendre, disposés en étoile, la tête esthétiquement nimbée de leur sang.
Devant, le Baron Konstantin, Denis Podalydès, auquel le smoking ne sied pas davantage que l’uniforme de S.A. dont il se dévêt totalement, s ‘égosille, s’époumone, s’agite, tablier de soubrette sur les épaules, en une danse macabre trop outrancière pour éviter le ridicule.
Pas davantage crédible, Guillame Galliene, barbe d’artiste et coupe de cheveux à rafraichir, en directeur d’usine, ambitieux, comploteur, assassin.
Il n’est pas le personnage que la Baronne Sophie, Elsa Lepoivre , belle mais conventionnelle, veut placer à la tête de l’empire au détriment d’un fils qu’elle n’a jamais aimé :
Martin,l’ incestueux, le meurtrier pédophile, surjoué par Christophe Montenez.
Il manque à Loïc Corbery, neveu du Baron Joachim, le souffle de l’idéaliste sacrifié ; à ses côtés en Baronne Sophie, Elsa Lepoivre compose une attendrissante épouse.
Portrait d’une famille digne des Atrides, où compromissions politiques et argent sont indissociables au point de conduire à l’élimination de chacun de ses membres, où l’on voit basculer dans la haine et le meurtre des êtres à l’origine politiquement neutres ;
Le chef-d’œuvre de Visconti en distillait l’air méphitique, nous en décrivait l’enfer souterrain, la décadence sulfureuse, le poison répandu.
Ivo van Hove s’est interdit de revoir le film.
Il s’en est cependant inspiré.
Pour en faire un « beuglant » assourdissant,
Une représentation où micros des comédiens et vidéos neutralisent la théâtralité,
La distribution dénature les protagonistes,
L’outrance même efface les menaces, interdit l’angoisse.
Les échos avec notre actualité pas davantage perceptibles.
Victime à son tour de la « peste »mégalo-narcissique sévissant dans la profession,
« Damné » Ivo van Hove a vendu son âme au diable.
Chez Lulu la colère le dispute à l’abattement