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Les Chaises d’Eugène Ioneso, mise en scène de Stéphanie Tesson avec Catherine Salviat et Jean-Paul Farré, au Théâtre de Poche jusqu’en juin.

28/4/2022

1 Commentaire

 
Burlesque inanité.
Des «Chaises» Lulu conserve un lointain et admirable souvenir d’une reprise avec ses créateurs légendaires, Tsilla Chelton et Jacques Mauclair dans la petite salle du Théâtre Volta, aujourd’hui disparue.
 
Consciente du défi, avec intelligence, Stéphanie Tesson a pris le parti de monter cette pièce crépusculaire sous un autre prisme, celui de lumières éblouissantes, François Loiseau, de couleurs éclatantes, rouge pétard pour les folkloriques costumes roumains, Corinne Rossi, rouge pompier pour les chaises de la salle et de la pièce.( Ionesco était d’origine roumaine).
 
Audace payante, servie par ses interprètes singuliers et engagés, Catherine Salviat, Sémiramis, La Vieille, Jean-Paul Farré, «Mon chou», Le Vieux.
Ce sens de la dérision perceptible dans la dénomination de ce vieux ménage minable,
Aussi contenu dans une des premières répliques énoncée par «Mon Chou»
«Plus on va, plus on s’enfonce».
 
Contre l’ennui qui les ronge, «engueulades», reproches, vieilles histoires maintes fois répétées constituent leurs armes, leurs servent d’antidotes.
Jouer le registre des plaintes peut également  s’avérer efficace:
«Je suis un orphelin» se lamente, comme retombé en enfance, Le Vieux afin d’apitoyer son conjoint.
 
Une soudaine illumination vient bouleverser l’implacable monotonie des jours:
Nécessitant la venue d’un «Orateur»,
L’impérieux besoin de faire une «Déclaration à l’Humanité» proclamée par «Mon Chou».
 
 
Aussitôt plongés dans une fiction totale,
Les Vieux vont reprendre vie au rythme des coups de sonnette répétés et de l’arrivée de spectateurs invisibles.
Mondains, efficaces, actifs, ils vont accueillir toute une série de personnages imaginaires  pour lesquels ils ne ménagent aucun effort.
Conversations du meilleur ton, amabilités, justifications d’honorabilité, confidences,   souvenirs contradictoires animent leurs échanges avec toute une galerie de figures invisibles.
La fièvre monte.
Le rythme s’accélère.
Dans un tintamarre de carillons disparates, les coups de sonnette retentissent de tous côtés. 
Un public toujours plus nombreux et mélangé afflue,
Le couple s’affaire dans une course effrénée.
Elle, pour parvenir à fournir toujours  plus de chaises,
Lui, pour canaliser une foule fictive, grandissante, envahissante,
Avant de déclarer, solennel:
«Je vous ai convoqué pour expliquer l’individu et la personne»,
Quand le noir se fait.
 
Un degré est franchi avec une miraculeuse arrivée,
Celle de l’«Empereur».
Submergé de félicité Le Vieux s’extasie: «Rêve merveilleux»,
Manifeste «La démesure de sa gratitude», lance un Hourra enthousiaste repris en choeur.
Enchaîne par un concert de lamentations, mais, se reprenant, finit de se persuader de la venue de l’orateur tant attendue:
«Il existe ce n’est pas un rêve».
 
En effet, il arrive.
Pas calme et mesuré il traverse la salle.
Imposant, il monte sur l’estrade.
Regard fixe et perçant, mutique, silencieux, seuls s’esquisseront  sur ses lèvres, quelques borborygmes sourds, inintelligibles.
 
Magistrale démonstration par l’absurde de l’inanité de notre condition humaine, teintée d’un semblant d’espoir incarnée par la venue de l’Empereur, et résumée en deux répliques:
«Aucun homme ne peut espérer plus».
«Notre existence peut se terminer en apothéose».
Cette pièce d’Eugène Ionesco, exprime avec autant de lyrisme que d’humour toute la profondeur de nos tourments existentiels.
 
La Sémiramis de Catherine Salviat est irrésistible. Primesautière et faussement enjouée, elle enchaîne les mimiques les plus expressives, sourire béat ou moue boudeuse, s’adressant à son «Chou» de mari, tour à tour admirative ou critique: «Tu aurais pu être beaucoup plus qu’un Maréchal des Logis». Attentive interlocutrice des arrivants, délirante narratrice d’une maternité inventée, coquette séductrice jouant de son jupon, incroyable d’énergie, elle devient l’efficace pourvoyeuse de chaises, la distributrice de programmes et d’esquimaux. Réjouissante d’entrain, jubilatoire, rose aux joues, boucles en accroche-cœur, elle déploie une rare espièglerie juvénile.
 
A ses côtés, massif dans son gilet rouge, longues mèches de cheveux blancs émergeant du bonnet, Jean-Paul Farré incarne «Mon Chou». Décati mais volontaire,
entreprenant et lyrique philosophe, pénétré de son rôle, clown déployant force de persuasion, dupe emportée par ses illusions, le comédien nous donne dans ce rôle l’entière plénitude de son singulier talent.
Palpable, la complicité des interprètes fonctionne à merveille.
 
Tel un vibrant hommage à l’auteur disparu,
La représentation restitue toute la splendeur d’un texte qui n’a pas pris une ride,
Son burlesque pathétique qui nous bouleverse.
 
Une soirée qui s’impose à tout amateur éclairé.
1 Commentaire
Sophie
29/4/2022 01:38:16 am

Encore une critique éblouissante de Lulu qui donne envie

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