Malheureux Nijinski.
Atteint par les premiers symptômes à l’âge de trente ans, sa folie ne l’a plus quitté jusqu’à sa mort trente années plus tard, le reste de ses jours passé d’un asile à l’autre sans jamais plus danser.
Soigneusement dissimulés, ses cahiers ne seront publiés qu’après avoir été retrouvés au milieu de cahiers d’école, dans une malle de sa fille, après le décès de celle-ci.
Nijinski les a secrètement rédigés au moment où se manifestent les premiers signes du mal, entre 1916 et 1918.
Délire et fulgurance, mysticisme et révolte, souffrance et soif d’amour, compassion et dénonciation, l’âme oscille encore, au bord du gouffre.
Entre déraison et lyrisme cosmique, parcourus de moments de lucidité et de crudité dans les passages sur le sexe ou cruauté des hommes envers les animaux ( (masturbation, homosexualité, et mort d’un cheval sous les coups décrits de façon saisissante) poèmes en prose dédiés à son médecin, forment un ensemble à la fois incohérent et bouleversant.
Sur le plateau, un large plan blanc incurvé, aux bords relevés en fond de plateau, forme la scène instable sur laquelle se meuvent deux personnages.
l’ un jeune, beau, chemise bis, pantalon blanc, est le narrateur, Nijinski.
L’autre, le visage plus marqué, arbore la même tenue, mais dans deux gris sourds : muet, il incarne le « double » du danseur.
Dessinant sans fin de belles figures épurées réglées au cordeau, sur cet espace dans l’espace, durant toute la lecture, l’un bousculera l’autre, ou toisera de sa taille celui qui est couché sur le sol, pour le croiser, l’épauler, l’ignorer, dans des lumières très recherchées et d’une grande beauté.
Clément Hervieu- Léger, de la Comédie Française, possède non seulement toute la subtilité requise pour interpréter ce rôle sur le fil du rasoir, nuançant admirablement les facettes de ce génie de la danse foudroyé, il possède de plus, un vrai physique de danseur, rendant le personnage encore plus confondant.
Son double muet est interprété par Jean Christophe Guerri, ancien danseur de l’Opéra de Paris.
Nijinski, surnommé « le clown de Dieu » par Béjart, est assurément un « illuminé » aux accents très slaves.
Comment ne pas penser aussi à Camille Claudel, Vincent Van Gogh ou Antonin Artaud ?
La folie, une fatalité destructrice pour certains génies.
Ce sont Daniel San Pedro, metteur en scène, et Brigitte Lefèvre, ancienne directrice de la danse à l’Opéra de Paris, quI signent ce spectacle parfaitement maîtrisé et abouti.
La soirée est courte, intense, esthétiquement impeccable, dramatiquement efficace.
La fin des représentations est fixée au 18 janvier.
Une reprise s’impose pour ceux qui n’auraient pu assister à ce spectacle.