Au final, assis dans sa gloriette, dos au public, vouté, accablé, Arnolphe reste seul :
Un vaincu, inconsolable, face à sa douleur.
Le frêle oisillon a pris son envol,
La cage de la prisonnière se referme sur le « geôlier »
A elles seules, la scénographie d’Emmanuelle Sage-Lenoir, et les lumières de Rodolphe Hazo, les costumes de Paul Andriamanana, nous donnent la mesure de cette admirable « Ecole des femmes ».
Dans ce « jardin imaginaire », avec cette cage qui se métamorphose en gloriette,
« Vision courtoise du monde » avec sa longue grille qui ferme de plateau sur fond d’un vert abstrait, paysage aussi indéfini,
Se déroulera l’intrigue que Molière créa sur un registre essentiellement comique.
Profonde, mais sans lourdeur aucune, la mise en scène d’Armand Eloi, au- delà ses grands moments de rire, souligne, avec le même bonheur les innombrables richesses de ce texte admirable.
Cocuage moqué à plaisir, fatuité d’amoureux, feinte docilité des serviteurs sont prétextes aux scènes les plus cocasses qui soient.
Dénonciation de « l’asservissement » des femmes et du despotisme masculin,
Opposée à la finesse et la rouerie féminine en quête d’indépendance,
Donnent lieu à des situations d’une rare intensité.
Arlette Allain, Georgette, et Michel Melki, Alain, forment un couple de serviteurs impayables : pleutres, corrompus, serviles ; pauvres valets esquivant les coups du maître, empochant les pourboires, toujours complices du plus offrant.
Cyrille Artaux, Chrysalde, incarne la pondération.
Il s’efforce de raisonner son ami excessif :
« Le cocuage n’est que ce que l’on en fait »,
Le met en garde sur son attitude vis-à-vis d’Agnès :
« Vous risquez diablement qu’elle soit d’une ignorance extrême »,
Pour conclure :
« Je le tiens fou sur toutes les manières ».
Jimmy Marais, Horace, resplendissant dans sa jaquette fraise écrasée, séduirait la plus réfractaire des donzelles :
Son éclatante jeunesse, son charme, et sa flamme opèrent à tout coup.
Victime de sa « gloire » d’amoureux triomphant, le ridicule et l’aveuglement ne l’épargneront pas pour autant.
Anne-Clotilde Rampon, Agnès, solaire dans sa courte robe jaune bouton d’or, ruban rubis, assorti à ses chaussures, ornant sa belle chevelure sombre, possède toute la grâce et l’innocence de la jeune personne.
Désarmante d’ingénuité en confessant les émotions de ses premiers émois,
Elle ne manque cependant pas de discernement face à la condition où la tient Arnolphe.
Soumise par nécessité, docile par son éducation, mais déterminée par amour, elle osera s’affirmer face à la volonté du barbon despotique.
Voilà encore deux jeunes premiers promis à un brillant avenir.
Borné, obstiné : « en femme comme en tout je veux suivre ma mode »,
Autoritaire et violent avec ses serviteurs,
Arnolphe, alias « Monsieur de la Souche » est un tyran avec Agnès.
Pierre Santini endosse le rôle avec grandeur :
Méprisable et odieux dans les débuts de l’action,
Brutal avec ses valets,
Tenant « au secret » la pupille dont il est fou,
Sourd aux injonctions amicales de Chrysalde,
Manipulant le naïf Horace grisé par sa conquête,
Méprisant le « beau sexe » :
« La femme est en effet le potage de l’homme »
Son aveugle passion pour Agnès le conduira aux extrémités.
Coercitif et impuissant à la foi :
« Il faut que je crève, je l’aime,
Et mon grand amour est mon grand embarras »,
Il finira sa propre dupe.
Consumé de chagrin,
Anéanti de douleur.
Ultime tableau, terrible, déchirant :
Un homme haïssable,
Pitoyable soudain.
Détruit, consumé par une impossible passion,
Le comédien nous bouleverse comme il nous a révoltés.
Des souffrances ne sont pas sans rappeler celles de notre génie :
Molière rongé de jalousie face aux incartades et la jeune et infidèle Armande.
Pièce d’une modernité confondante près de trois siècles après sa création,
Cette « Ecole des femmes » est une totale réussite :
L’illustration d’un théâtre « exemplaire » en tout point.