Pour atteindre le nadir de l’horreur dans ce même lieu la saison dernière dans la mise en scène de Michel Fau aussi interprète du rôle éponyme ( Lulu d’octobre 2017)
Ce tartuffe réunissant pour la première fois de Pierre Arditi et Jacques Weber
Portait nos espoirs.
C’était sans compter avec Peter Stein.
Le metteur en scène de renom international vient de réaliser un exploit :
Réduire un chef d’œuvre d’une audace inégalée jusqu’à le vider de sa force explosive, subversive.
La désillusion s’installe aussitôt dans la scène du « prologue »
Un bal minable réunit quelques couples vêtus de costumes disparates et anachroniques exécutant sans grâce des danses d’époques différentes.
Court répit dans la scène d’ouverture : en voyant Jacques Weber, teint fleuri, cheveu de neige dans son costume lie de vin on imagine tenir un Orgon délicieux, toute joie, béat, ébloui, innocent, un « ravi », crédule, innocent tel un jeune enfant.
Mais du père de famille tyrannique et redoutable, du mari aveugle, il ne restitue qu’un personnage convenu, classique, falot ; un simple velléitaire dont les colères et fureurs ne restituent nullement l’horreur du sort fait aux siens.
Plus cuisante encore la déception du Tartuffe d’Arditi.
Avec chacune de ses ruptures, changements de jeu, chacun de ses effets modulés tous à contre-temps,
Le comédien parvient à vider de toute toxicité ce personnage ignominieux.
Ne subsiste du Tartuffe qu’un ordinaire opportuniste, vulgaire profiteur ; un adultère d’une banalité confondante.
Insupportable portrait réducteur d’un personnage redoutable, machiavélique, d’une noirceur absolue.
Le reste de la distribution ne mérite pas qu’on s’y étende, on va jusqu’à regretter la présence de la délicieuse Marion Malenfant, pas toujours audible. Passons sur les autres sans relief ni intérêt.
Ne souhaitant pas m’étendre plus longuement sur ce spectacle,
Je dénoncerai encore la laideur du décor de Ferdinand Woegerbauer, Surprenante copie, grand format, de celui de Lacascade en 2011:
Surplombant la scène, une longue estrade blanche avec ses trois portes ; Descendant vers le plateau, un monumental escalier assure de spectaculaires descentes…
Soulignant sans doute le côté intemporel de l’œuvre,
Les costumes d’Anna Maria Heinreich mélangent allègrement les époques ; Valère fait virevolter les pans de sa jaquette, dans sa robe 1900 framboise fendue jusqu’en haut de la cuisse, Elmire serait une parfaite « Dame de chez Maxim’s » de Feydau : place au vaudeville chez Molière, il fallait y penser.
D’un brulot réduit à un drame bourgeois,
La virulence de la dénonciation finit de s’éteindre.
Tartuffe vidé, édulcoré, rétréci, amoindri, détruit,
Molière honteusement trahi,
Peter Stein cloué au pilori.
Aux classiques doit-on renoncer,
Afin du théâtre ne pas être dégouté ?