Néanmoins: pour les deux premiers la conviction d' assister, non sans difficulté, à deux soirées qui feront date.
Pour le troisième un désir de comparaison avec la lecture du même grand texte par Jean-François Balmer qui m'avait tant déplu.
Précédées par la notoriété internationale du directeur du Maly Théâtre de St-Petersbourg, " Les Trois Sœurs" avaient retenu mon choix dans le Festival que consacre la M.C.93 à Lev Dodine.
Précédé par une presse enthousiaste lors de la création, à Lyon, du " Roi lear " , l'interprétation de Serge Merlin en Lear, comme le travail de mise en scène de Christian Schiaretti s'imposaient dans ma programmation.
Des "Trois Sœurs" j'étais sortie tellement bouleversée par le spectacle de Christian Benedetti cet hiver, que les sanglots m' avaient, comme jamais auparavant, littéralement submergée( Lulu de novembre 2013). Un Tchékhov en français, rendu cependant dans toute son intensité déchirante et désespérée.
Joué en russe cette fois, avec hélas le tableau de surtitres au plafond vous contraignant à d'affreuses contorsions des cervicales, passée la première scène de la préparation de la fête d'une rare beauté, pas une larme, pas un serrement de cœur. Seule demeure une impression de perfection esthétique totalement aboutie. La scénographie en compose le premier élément: la façade de bois de la maison provinciale, avec ses ouvertures de portes et fenêtres qui n'ouvrent sur rien, servent à " encadrer " l'action et les personnages qui se dessinent dans da superbes lumières. Autre élément tout aussi réussi: l'utilisation formidable du plateau et de la salle pour régler les différentes entrées et sorties des acteurs, ajoutant une profondeur au déroulement de l'action.
Même éblouissement face à la première scène de " Lear" digne d'un Jean Vilar dont se réclame Schiaretti. Le décor( Fanny Gamet) en hémicycle de bois clair entourant le plateau, fait infailliblement penser au Théâtre du Globe à l'époque de Shakespeare. Dans ce " mur" arrondi se dessinent portes et fenêtres qui s'ouvrent tour à tour pour laisser place aux comédiens qui entrent et sortent de scène.De superbes costumes renaissance( Thibaut Welchlin) comme les lumières de Julia Grand ajoutent au coté " vilarien " du visuel.
La désillusion, et elle est grande, vient des acteurs.
Serge Merlin est Lear. Maintes fois vu dans ses précédents spectacles, je l'ai souvent admiré( " Fin de partie" de Becket, " Incendies" de Thomas Bernhard" )et parfois critiqué. Impossible de le célébrer ici, quitte à faire entendre une fois encore une voix dissonante dans un concert de louanges. Incompréhensible le plus souvent, quand il ne glapit pas , il aboie furieusement. Peu de nuances dans son interprétation, une diction qui ne passe pas dans la grande salle du Théâtre de la Ville, et ses gesticulations répétitives ne servent pas la profondeur étourdissante du personnage, mélange insensé d'orgueil et de vulnérabilité, tyran aveugle et père bafoué, vieillard tout à la fois abandonné, révolté ou crédule.
Dans la troupe, seuls sont crédibles et ..audibles, Philippe Duclos, le comte de Gloucester et (Vincent Winterhalter le duc de Kent).
Il vous reste à imaginer ce qui reste de cette pièce sur le pouvoir, la trahison, les dérèglements de l'ambition, le naufrage des sentiments jouée dans la superbe traduction du poète Yves Bonnefoy.
N 'y tenant plus, au bout de deux heures et demi de spectacle, nous renonçâmes à l'entre-acte. Nous n'étions de loin pas les seuls.
Dernier " classique " de la semaine " Le voyage au bout de la nuit " de Céline par le collectif Les Possédés avec Rodolphe Dana dont j'ai déjà parlé dans ces chroniques.
Jean François Balmer nous avait fait passer une épouvantable soirée, qu'allait faire Rodolphe Dana de Ferdinand Bardamu?
Il l'a simplement fait vivre. Avec rien, quelques tables aux pieds d'acier, et lui, seul en scène pendant plus de deux heures. Première guerre mondiale, Afrique coloniale, New-York et l' Amérique, le retour en France, les études de médecine et l'installation dans la banlieue, tout est dit.
Je persiste à croire que des textes comme " Le Voyage" ne s'entendent jamais mieux que dans le silence de la lecture. Pour moi, seul Jacques Seyres, avec Proust, est parvenu à " dépasser" cette expérience.
Force est de reconnaitre à Rodolphe Dana une interprétation qui vous tient en haleine avec autant de justesse que d'authenticité.
Décidemment, il faut suivre Les Possédés et Rodolphe Dana.
Vous pourrez les voir à La Colline dans " Platonov" de Tchékhov en janvier prochain.