Meilleure soirée de la rentrée.
Chacune des pièces de Simon Stephen confirment le grand talent de ce jeune auteur anglais.
Après bien des déconvenues de cette rentrée, voilà une soirée qui vous réconcilie avec le théâtre.
A l’opposé de toutes les outrances et dérives dont ces chroniques se sont faites récemment l’écho, le théâtre de Simon Stephen sait nous émouvoir, nous faire sourire, nous ébranler.
Témoin lucide des violences et des drames de notre société, il sait en restituer toute l’intensité, donner chair à des personnages qui gardent longtemps une part de mystère.
Ici tout débute par un baiser fortuit.
Un monsieur, âgé, solitaire, assis sur un banc de gare, regard perdu dans le vague, sursaute en recevant un baiser sur la nuque plaqué par une jeune femme en pantalon panthère, blouson de cuir et chevelure feu.
Nous voilà avec Georgie et Alex.
Elle se présente, volubile, envahissante. Déconcertante, elle s‘épanche en confidences et récits personnels pour aussitôt les démentir.
Lui taciturne imperturbable subit ce flot de paroles sans plus s’émouvoir.
Cette première rencontre sera suivie d’autres.
Georgie retrouve Alex. Il est dans sa boucherie.
Persuasive, insistante, elle se fait inviter dans un restaurant.
Elle le bouscule, s’accroche, le moque, le regrette dans la foulée et lui raconte sa vie sans pudeur.
Cette femme «libérée», affranchie, sans tabou est cependant une femme seule, abandonnée de son mari, reniée par son fils parti en Amérique.
Lui supporte, esquive, acquiesce, bougonne, mais finit par lâcher quelques confidences à son tour.
Ils sont déroutants, attachants,
Lui se révèle un être tout en sensibilité pudique.
Elle, méprisable sans cet élan de sincérité tardive.
Dans le décor particulièrement réussi et évocateur de William Mordos: grands arcs de bois mobiles dans lesquels s’inscrivent successivement un banc de plexiglas, grand lit ou un arbre stylisé croulant sous d’énormes feuilles gonflées,
baigné des belles lumières de Joël Hourbeigt,
Dirigés par Louis-Do de Lencquesaing, familier de l’auteur,
Les deux interprètes rivalisent de talent sur les planches.
Remarquable pour ses débuts au théâtre, Laura Smet campe cette Georgie désespérée en dépit d’une assurance crânement affichée. Elle sera aussi victime de son stratagème à peine déguisé. Parcours sans faute pour cette jeune comédienne dont l’abattage et la gouaille jamais ne racolent.
Immense interprète, Jean-Pierre Darroussin parvient à moduler, tout en retenue et infinies subtilités, les nuances d’une émotion grandissante, depuis longtemps oubliée, qui l’envahit subrepticement et comme à son corps défendant.
Simon Stephen maître de l’émotion sans mélo.
Ses cabossés de la vie : des héros bouleversants.
Le théâtre peut encore nous combler.