Adeline d’Hermy, lumineux talent,
Christophe Montez, irrésistible Frontin.
Exceptionnellement visible dans sa totalité, mise à nu, la machinerie du grand théâtre dévoile ses multiples secrets avant de dérouler un immense panneau de toile peinte sur lequel figure de beaux cieux.
Une légère brise agite l’air, une lumière d’été baigne l’atmosphère.
Signé Eric Ruff, pour la scénographie, et Bertrand Couderc pour les éclairages, le décor n’est pas sans rappeler l’esthétique d’un Giorgio Strehler, comme l’extrême raffinement des costumes de Caroline Vivaise.
Mais au-delà de l’atmosphère, de l’exactitude historique, ce cadre illustre également toute une symbolique des sentiments.
Comédie de jeunesse de Marivaux, elle recèle déjà l’ensemble des thématiques de l’auteur.
Dans ce cadre bucolique une jeune maitresse a pour fiancé un charmant jeune homme, « Petit Maître » parisien mis à rude épreuve par sa promise résolue d’en obtenir l’aveu sans fard d’un amour sincère.
L’obstination de chacun les conduira à des situations contraires à leurs inclinations naturelles.
Seules, l’aide de la servante et la complicité du valet leur permettront de surmonter les cruelles épreuves qu’ils auront suscitées, impuissants, piégés, face à une redoutable coquette et à un rival entreprenant en dépit des efforts déployés avec autorité par la mère du marquis, tendresse par le père de la jeune comtesse.
Cœurs souffrants, cœurs aimants, cœurs coquets, cœurs secrets.
Merveilles des tourments, finesse de l’analyse fardant sous l’apparente légèreté les pièges redoutables du travestissement des sentiments : tout Marivaux est là déjà.
Eblouissants, véritablement enchanteurs dans cette mise en scène, le couple Marton-Frontin domine l’imbroglio fatal avec le naturel allègre que seuls possèdent de très rares artistes.
Minois ravissant, geste preste, jambe fine, répartie vive, mutine, effrontée, perspicace, piquante, Adeline d’Hermy subjugue par son jeu badin, sa spontanéité désarmante, sa voix enjôleuse, sa fraicheur séduisante.
Ce rôle lui confère une consécration.
Lumineuse, elle rayonne sur scène, irradie le plateau.
D’une force comique parfaitement distillée au cours de la représentation, Christophe Martinez n’est pas en reste.
Singeant son maître, l’amoureux de Marton vite rendu à la raison par celle-ci, bousculé, malmené, atteint un sommet de comique dans ses explications contraintes sur la « promotion de nous autres subalternes ».
Point de feinte ici dans l’hilarité générale.
Aucune surprise pour le reste de la distribution :
Possédant l’assurance de la Marquise, Dominique Blanc aurait pu se dispenser de son geste victorieux lors de l’emploi du subjonctif imparfait….
Didier Sandre est davantage qu’un Père aimant,
L’interprétation de Loïc Corbery ne fera pas évoluer mon jugement déjà réservé depuis son « Misanthrope ».
La Dorimène de Florence Viala manque singulièrement de distinction.
Sans conséquence, rien ne distingue Pierre Hancisse en Dorante, l’ami du « Petit Maître ».
Les Valets mènent le bal,
Pour eux,
Pour Marivaux,
Entrez dans la danse,
Laissez-vous griser par une langue sublime et le charme puissant de Marton et Frontin,
Ici le Français retrouve tout son lustre.