La Perfection
Cette fois, elle ne ménagera pas ses éloges pour «Le Menteur», perfection du genre.
Bien fait de sa personne, après ses études de droit à Poitiers, Dorante débarque à Paris où il compte jouir de tous les plaisirs de la capitale.
Une promenade aux Tuileries lui offrira aussitôt l’occasion idéale d’exercer ses talents de séducteur auprès d’une des deux charmantes personnes rencontrées sous les frondaisons.
Mené tambour battant, écrit en vers, un tourbillonnant jeu de dupes dans lequel notre héros, avec un aplomb qui convaincrait les plus sceptiques, déploie une imagination sans limite.
Il ne fera que s’enfoncer avec une maestria confondante dans un tissu de mensonges toujours plus invraisemblables, pour finir …dupé à son tour.
Dorante se couvrant de la gloire de prétendus faits d’armes pour séduire Lucrèce, qui est Clarisse, décrivant à son ami Alcipe un somptueux dîner musical au fil de l’eau en l’honneur de sa bien aimée, de fait fiancée de son compagnon qui lui en demandera raison en duel, inventant un faux mariage contracté à Poitiers pour échapper à celui proposé par son Père, impavide, notre héros demeurera sourd aux avertissements répétés de son valet Cliton sidéré de tant d’impostures.
Démasqué par ces dames, notre Dorante finira par épouser la vraie Lucrèce, rendant Clarisse à son ami Alcipe.
Travail en totale intelligence avec l’auteur, Marion Bierry signe une mise en scène véritablement délectable.
Percées de petites fenêtres, et chacune d’une portière, deux façades en toiles peintes, tels des paravents posés sur le plateau devant le beau ciel en fond de scène, forment le ravissant et très astucieux décor de Nicolas Sire.
Des rideaux soulevés, apparaîtront aux fenêtres les têtes des belles comme les épées des duellistes.
Entre les façades, devant l’azur du ciel se déroulent promenades, rencontres, échanges, entrées et sorties des différents protagonistes réglés de main de maître.
Joliment tourné, mèche en bataille, taille bien prise, Alexandre Bierry campe un génial Dorante. Avec superbe, et vaillance, l’air entendu, et l’œil gourmand, sans jamais se départir de sa bonne humeur, il enchaîne avec un bel aplomb les mensonges les plus fous, s’octroyant juste, dans les situations les plus «désespérées», un court instant de réflexion pour mieux argumenter. L’évocation de son mariage forcé à Poitiers atteint au nadir de l’extravagance imaginative.
Valet d’anthologie, Benjamin Boyer en Cliton fait merveille. Tout en rondeur, un peu frustre, il n’en est pas moins doué de bon sens et dévoué à son maître dont parfois il dénonce les excès avec un franc parler quand il ne s’en laisse pas abuser avec crédulité empreinte d’admiration.
Le comique fonctionne à merveille.
Silhouette frêle, personnalité effacée, Brice Hillairet en Alcipe, ce malheureux qui se croit victime d’une double trahison, celle de son ami et celle de sa promise, contre-balance avec finesse, par son phrasé et ses attitudes, toutes les rodomontades dont l’abreuve et le blesse Dorante qui le conduit au désespoir.
Père aimant, le Géronte de Serge Noêl, nous émeut. Face aux dérobades mensongères de son fils dont il ne souhaite que le bonheur et excuse l’engagement secret, il affiche l’authenticité de sentiment d’un vieillard digne et bienveillant mais soucieux de sa postérité.
Face à cette brillante distribution masculine, plus de piquant n’aurait pas nui à ces dames, Anne Sophie Nallino, Clarisse la brune, et Mathilde Riey, Lucrèce la blonde.
Mais laissons là ces vétilles.
Note de gaîté supplémentaire, les refrains connus vaillamment chantés par nos interprètes, viennent renforcer le rythme enlevé de cette représentation qui allie avec une rare justesse le comique absolu à l’éclat grand siècle de la versification.
Irradient un total respect de l’esprit et de la lettre.
Un classique comme on souhaiterait en voir à la Comédie Française.
Aujourd’hui c’est au Théâtre de Poche qu’il faut vous précipiter.
Au firmament des grands dramaturges, Corneille doit être sur un nuage rose.
La salle et Lulu aussi
Rare, pareil bijou théâtral.
Il rendrait sa bonne humeur au plus grincheux d‘entre nous.