Inséparable complice du metteur en scène, Nick Ormerod, toujours aussi sobre qu’imaginatif, signe l’unique et simplissime décor : un parallélépipède peint en gris.
Projetées sur sa face, des photos évoqueront l’intérieur cossu d’une maison de riche propriétaire ou une épaisse forêt, pour se muer, juste en pivotant sur une tournette, en pauvre chaumière ou encore en chapelle ardente.
Sur scène, tous en costumes modernes, un metteur en scène, caricature du dramaturge sombre profond et prétentieux, présente rapidement au public l’œuvre qu’il répète entouré de ses comédiens : un drame familial avec mariage forcé.
L’irruption d’une spectatrice sur le plateau, aussitôt suivie de son mari, rompt brutalement le travail en cours :
Ce couple de bonnes gens, modestes épiciers, jugeant l’intrigue fade et ennuyeuse, réclame plus d’action et d’aventure, suggérant l’intervention d’un preux chevalier pour animer ce spectacle languissant.
Pour mieux illustrer leur propos, leur neveu, brave garçon rondouillard, vêtu d’une armure d’opérette, les rejoindra pour se mêler aux comédiens déclamant de pompeuses tirades évocations d’actes héroïques.
Le trio ne désarmera plus.
Définitivement installés sur le plateau, il multipliera ses interventions, contrariant, corrigeant, transformant la pièce avec autorité.
Confrontation des plus savoureuse entre « théâtre dramatique » et « Théâtre de divertissement »,
« savant » et populaire »,
Avec un sens consommé du comique,
Le spectacle prendra des allures de plus en plus improbables.
Sans vouloir dévoiler toutes les péripéties de ce parcours loufoque,
Une incursion dans les coulisses et les loges où se croisent, au bord de la crise de nerfs, affairés, en pleine bousculade, comédiens, maquilleuses, costumières et machinistes,
Un énorme cheval de carton -pâte sur roulettes, richement juponné de tissus chamarrés et décoré de charmantes peintures fleuries,
En aparté, la chamaillerie et la réconciliation amoureuse de notre couple dansant collés serrés,
L’intervention féministe de l’épicière, micro en main, soudaine passionaria invectivant la salle,
Composent quelques uns des moments les plus irrésistibles de ce spectacle,
Qui se termine en apothéose par une scène de comédie musicale échevelée, idée de notre matrone inspirée,
Dansée, chantée, rythmée par l’ensemble de la troupe surpassant les meilleures performances de troupes américaines.
Véritablement éblouissants, sans exception, l’ensemble des comédiens du Théâtre Pouchkine de Moscou, jouent en russe sans que nous ne perdions rien du plaisir de leur interprétation.
Mention spéciale pour Agrippina Steklova et Alexander Feklistov.
Leur embonpoint, leur dynamisme, l’abattage de Madame, la bonhomie de Monsieur, plus vrais que nature, font merveille.
Après le désastreux « Timon d’Athênes » de Shakespeare de la saison dernière,
Duclan Donnellan remonte la pente.
S’il prend des libertés, sans doute, avec le texte d’origine, elles servent avec efficacité le stratagème.
Mais très « cérébral » fouillé, minutieux, recherché dans tous ses détails, comme désincarné, ce travail manque d’une forme de spontanéité,
Il n’atteint pas les sommets de précédents spectacles, tels son « Boris Godounov » ou encore son génialissime « Ubu »
Toutefois, le metteur en scène demeure un grand parmi les grands.