Son talent n’est plus à démontrer.
La voilà qui enchaine, après « La Nostalgie des Blattes », chronique de septembre 2017 et LULU d’OR » saison2017, un nouveau rôle à sa mesure.
François Begaudeau, l’auteur de Lien, ne pouvait souhaiter meilleur interprète pour sa pièce :
Une analyse de l’évolution des ressentiments d’un fils envers une mère.
Dans un intérieur modeste, trône la table familiale entre coin cuisine et entrée en décochement. Unique décor, très réussi de Claude Plet.
Christiane, veuve, reçoit à déjeuner son fils venu lui rendre visite.
Tout en s’affairant, elle bavarde, volubile, intarissable.
Anecdotes ménagères, agacements face à ses trous de mémoire, réflexions sur l’inutilité de disposer d’un ordinateur, nouvelles de ses voisines s’enchainent.
Ainsi égrené, le soliloque n’évoque rien qu’une vie simple, la banalité du quotidien, et… ses difficultés pour trouver le fromage préféré de son fils.
Il n’en faut pas davantage pour susciter l’explosion de l’invité.
Comme mu par un ressort, Stéphane brutalement quitte la table et, tirant rageusement sur sa cigarette, annonce son départ.
Pour se justifier, la décision s’assortit d’un flot de ressentiments jetés au visage de Christiane, agressifs, haineux, méprisants, tous construits sur de tortueux raisonnements « intellectuels »,
Contrastant avec la « simplicité » maternelle.
Lui sont reprochés son incapacité d’échanger, de savoir tenir une « conversation »,
Défaut considérés comme révélateurs de son indifférence et de son manque d’intérêt pour la vie de son fils,
Elle qui va jusqu’à exiger un exemplaire « gratuit » de chacun de ses livres, sans jamais les lire :
Preuves de son manque « d’amour », de son absence totale de relations authentiques envers son « rejeton » lui qui a si péniblement accédé au statut d’écrivain reconnu.
Toute la haine de la famille crachée au visage maternel.
Cruels, sans pitiés, les griefs s’accumulent, énumérés, analysés, justifiés.
Intellectuel brillant, jeune auteur arrivé, Stéphane se livre à une démonstration argumentée, implacable, recourant jusqu’aux aux pires des comparaisons.
L’arrivée tardive d’une voisine, interprétée par Marie-Christine Denède, parfaite en femme de bon sens qui ne se laisse nullement manipuler, renversera la situation.
De ce terrible règlement de compte, le fils, soudain miraculeusement pacifié, apaisé par les massages relaxants de la visiteuse, retrouvera aussitôt sa sérénité.
La réconciliation se fera autour du…. fromage.
Pierre Palmade, silhouette anguleuse, long visage creusé, grand oiseau déplumé, inquiétant, véhément, incarne avec une force dérangeante ce fils objet de toutes les attentions maternelles durant son enfance : une maman, dame des postes, veillant jalousement à l’éducation d’un enfant qu’elle menait elle-même régulièrement à la bibliothèque.
Suggéré par Catherine Hiegel, surprenant de prime abord, ce choix de partenaire s’avère très juste.
Blessée, anéantie, à terre, mais jamais vaincue, la Christiane de Catherine Hiegel nous bouleverse d’intensité contenue.
Chevelure léonine couleur neige et raccourcie, quelconque mais digne dans sa petite robe d’un bleu passé, sans jamais hausser la voix, stoïque et combattive,
Fait front, souvent avec une simplicité désarmante, aux pires récriminations, aux plus dures accusations.
Touchante dans sa sincérité, comique dans certaines de ses réparties, déroutantes d’assurance tranquille aussi,
Attachante, douloureuse, mais solide et par-dessus tout profondément aimante,
Usant d’une magistrale économie d’effets, elle confère à son personnage, une rare présence, une parfaite authenticité.
Bien décrit par l’auteur, le thème de la famille, le mélange amour-haine entre mère et fils, la difficulté des rapports dans des milieux qui évoluent et divergent.
« Le Lien » se relâche, se distord, menace de craquer, pour mieux se resserrer enfin
L’affrontement fonctionne,
Le face-à -face blesse,
Porté par ses interprète une beau moment, émouvant.