Aussitôt, constatant le délabrement du théâtre et face à un malheureux aubergiste s’efforçant de l’accueillir au mieux,
La vétusté de la salle agira comme un détonateur.
Telle une marée dévastatrice,
Griefs et récriminations,
Critiques impitoyables et diatribes assassines,
S’auto-alimentant,
S’enchaineront dans une délirante logique destructrice,
N’épargnant rien, ni personne.
Personnage au caractère impossible,
Mêlant les sentiments les plus contradictoires,
Tour à tour odieux avec ses enfants :« des anti-talents »,
Avec son épouse souffrant des poumons, accusée de simulation : « Tout son talent investi dans sa maladie »,
Misogyne accompli « Faire du théâtre avec les femmes est une catastrophe »,
Qualifiant son pays de : « poche purulente de l’Europe »,
Bruscon achève de nous déconcerter affirmant : « Je suis un être tout de douleur ».
Ecrite au moment de la mort de sa compagne et soutien indéfectible,
Telle une auto-fiction,
La pièce deThomas Bernhard brosse le portrait dévastateur d’un être dans la détestation de tout :« Tout est mensonge »,
Revenu de l’amour :« Enlever l’amour » s’écrit-il-il au cours d’une énième et inutile répétition,
Et d’un auteur aussi mégalomane,
Toujours en quête d’un impossible absolu dans l’art,
Pour affirmer avec dérision avoir eu à choisir entre : « Le grand art ou l’alcoolisme »
Par un jeu de télescopage à plusieurs niveaux, le public tour à tour devant à un ravissant décor de théâtre recréé sur scène dans sa poussiéreuse désuétude face à la salle du Dejazet au charme suranné, demeurée intacte depuis sa création au XIXe siècle,
Puis, avec les comédiens, avant le lever de rideau, surveillant l’entrée des spectateurs,
Christophe Perton, plus inspiré que dans sa récente mise en scène d’«Au But » du même auteur, au Poche,
Réussit parfaitement ses effets de mise en abîmes du théâtre dans le théâtre.
Froide colère, mais force décuplée,
André Marcon, dans ce long monologue à peine interrompu,
Est un Bruscon aussi glaçant de cruauté que comique dans sa logorrhée délirante, ses flagrantes contradictions,
A l’opposé de certains interprètes de Thomas Bernhard, (se reporter aux chroniques d’« Extinction » ou du « Réformateur »)
Il fulmine, certes, mais avec sang-froid,
Outrance exclue,
Débordements bannis,
Bruscon acquiert ainsi une présence formidable.
Saluons ici cette interprétation puissante.
Vivifiantes toujours, les imprécations de Thomas Bernhard,
Saines attaques,
Dénonciations redoutables,
Aveux aussi touchants,
Comiques immanquablement par leur outrance délibérée,
Le théâtre de Thomas Bernhard agit tel un concentré de vitamines.
Juste quelques coupures rendraient plus saisissante encore la soirée.
Lundi soir, jour de générale où se croisaient les critiques les plus influents,
Le public n’a pas ménagé ses applaudissements.
A vous de découvrir Bruscon « Le Faiseur de Théâtre ».
Inextinguible litanie,
Formidable Hymne bernhardien.