Théâtre du Vieux Colombier jusqu’au 10 Juillet.
Escamotant les trois siècles qui les séparent,
Située entre rêve et réalité,
Réunit deux génies vénérés de Lulu: Boulgakov et Molière.
Génies à la fois proches et victimes du pouvoir,
Persécutés par une censure, différente au fil des temps, mais toujours implacable.
Cabales,
Contraintes,
Interdictions,
ont jalonné leurs existences,
Menaçant leur vie,
Les privant de moyens de subsister.
Au lever de rideau nous retrouvons Boulgakov, excellent Pierre- Louis Calixte,
tout à son bonheur avec sa dernière épouse Héléna, touchante Coraly Zahonero.
Joie de courte durée.
Un membre du Comité des écrivains fait irruption dans l’appartement: Thierry Hancisse. Maléfique, il incarnera encore tous les acteurs de l’oppression.
Sous une apparente amabilité, tombe le couperet:
L’ annonce de l’interdiction de la totalité de ses écrits, partout et sous toutes leurs formes
Pour Boulgakov débute une descente aux enfers.
La dégradation progressive de sa situation conduira l’écrivain au désespoir, à une mort prématurée.
Malgré ses démarches auprès de Staline, spectateur pourtant admiratif,
Humiliations, lâchetés, promesses mensongères, reports répétés de la première d’une de ses pièces, ne finiront pas de l’accabler.
Réduites à néant ses possibilité d’exister comme écrivain,
Il entreprend la rédaction d’une pièce sur Molière, sujet dénonçant l’hypocrisie: «La Cabale des dévots».
Et la présence de l’immortel auteur du «Tartuffe» prend vie sous nos yeux.
Contestable, l’interprétation de Nicolas Chupin, gestes appuyés, sans présence véritable, reste superficielle.
Dans un savant télescopage de scènes allant jusqu’à réunir nos deux héros,
Le public va ainsi découvrir les liens profonds de ces hommes confrontés chacun à leur époque,
Aux terrifiantes conséquences du pouvoir absolu sur leurs œuvres, leur vie.
Si le ton badin caractérise le tableau où Molière affronte l’ire de Madame de Rambouillet (irrésistible Thierry Hancisse travesti) habile courtisan usant de flatteries Il sait apaiser le courroux de l’arbitre du « goût» offensé par la représentation des «Précieuses ridicules».
Autrement dangereux sera le déchaînement de la haine écclésiale après « Tartuffe» et «Don Juan» jugés blasphématoires.
Les «placets» au Roi, les plaidoiries de Molière auprès du Monarque, n’y feront rien.
Cédant aux pressions, Louis XIV interdira ces pièces qui jamais ne seront jouées plus d’une fois de son vivant.
Une succession de tableaux animés, baroques, forts, nous entraînent sur le parcours chaotique, brisé de ces êtres animés de la même nécessité vitale d’écrire.
Combatifs et impuissants, désespérés et opiniâtres, ils ont lutté contre le pouvoir, l’adversité, la maladie jusqu’à leur dernier souffle.
Louise Vignaud signe un spectacle hautement théâtral, très visuel, qui se veut l’illustration de «l’immortalité de l’art face au néant et à la destruction» ainsi qu’elle le déclare.
Ecriture personnelle, citations des auteurs se mêlent dans les tableaux successifs évoquant chacun un épisode de la vie, réelle ou rêvée, de deux principaux protagonistes.
Les très nombreux personnages joués tour à tour par les mêmes acteurs,
La débauche de riches costumes trop colorés signés Cindy Lombardi,
les maquillages et perruques expressionnistes,
L’adroit décor unique évoluant par seulement quelques détails évocateurs des différents lieux d’Irène Vignaud,
la scansion sonore,
révèlent la richesse des moyens mis en œuvre.
Démonstration efficace.
Pour Lulu,
Ces déchirants destins, les drames émaillant leurs existences respectives
Méritaient davantage de sensibilité,
Et moins de spectaculaire.