Lilo Baur, suissesse d’origine, avait déjà situé l’action de la pièce en costumes caricaturaux années cinquante, dans un décor d’appartement contemporain, à la montagne, face aux cimes enneigées.
Justifié par le sujet de la pièce: l’argent, ce cadre helvète qu’elle affectionne se retrouve dans «sa» version moderne de l’Avare: en Suisse, pays des banques et des coffres-fort .
Elle voit Harpagon en Donald Trump. Il apparaît successivement en golfeur, en yachtman, ou soudain métamorphosé en vieillard binocleux, prognathe, le cheveu en bataille.
Les costumes d’Agnès Falque situent à nouveau l’action dans les années cinquante, jupes larges, robes acidulées, et maillot d’époque pour les filles, chaussures bicolores, larges pantalon crème, pull sport assorti pour Cléante, costume bleu électrique pour Harpagon.
Sur scène un vaste gazon synthétique, des cloisons coulissantes avec vue sur les Alpes, une passerelle à jardin, et, au premier plan en contre-bas, un étroit plan d’eau, élément «clé» qui servira de piscine d’où les amoureux, Cléante et Elise émergent, ou de mare dans laquelle viendra pêcher Maître Jacques.
Ainsi définie, le parti pris répond au soucis affiché de se rapprocher de la jeunesse,
De lui rendre plus «accessible» Molière.
Les effets proches de la pantalonnade italienne émaillent la représentation, l’humour souvent lourd, les parodies forcées; les références à Tex Avery, Charlie Chaplin, aux bandes dessinées s’accumulent.
Les cassettes clignotent, les guirlandes d’ampoules électriques scintillent, la Marianne d’Anna Cervinka est ivre en rentrant de la foire, en La Flèche, Jérôme Pouly baisse culotte avec maestria dans la scène des poches.
Les comédiens du français excellent dans le répertoire, cette distribution en donne de jolies illustrations:
La fraîcheur d’Elise Lhomeau charme;
Véritable amoureux ou vil flagorneur le Valère de Clément Bresson est une perfection; Jérôme Pouly, La Flèche, impressionne de force comique.
Décevante, Perruque feu, coiffée de bibis ridicules, Françoise Gillard campe une Frosine à la rouerie forcée,
En Maître Jacques on a connu Serge Bagdassarian mieux inspiré.
Idole du public, Laurent Stocker provoque l’enthousiasme de la salle.
Harpagon prodigue de grimaces, il déclenche l’hilarité par l’outrance du trait, ses pitreries,
fruit des «trouvailles» de la mise en scène, comme au final, bercé par une chanson de Tino Rossi, il valse, cassette tendrement serrée contre sa poitrine.
Cependant, non dépourvu de grandes qualités d’interprétation,
Il provoque l’indignation en père tyrannique et sans coeur, en maître soupçonneux et injuste, en fol soudain atteint de délire lors de la disparition de sa cassette.
Des nombreuses représentations de l’Avare auxquelles Lulu a assisté,
Domine sans conteste celle d’Ivo van Hove, moderne au sens propre, avec un Harpagon vissé à ses écrans d’ordinateurs dont on lui dérobe les clés USB.
En dépit d’une majorité d’ interprètes dignes de leur patron,
Molière méritait plus qu’une représentation mâtinée de guignolades.
N’en déplaise aux spectateurs enthousiastes,
Pour Lulu, la formule Lilo Baur cède à trop de facilités.
Elle se laisse voir sans déplaisir,
Dépourvue de sa pathétique magie.