ce titre a de quoi déconcerter.
Sa justification n’apparaîtra qu’à la fin d’une histoire poignante, celle de l’auteur, interprétée par Catherine Salviat.
Seule sur le plateau nu, juste baigné de belles lumières, elle apparaît habillée de rouge profond,
tailleur sobre et fines bottines assorties.
Juvénile, elle évoque, la petite fille de quatre ans déjà atteinte de la «Maladie de lecture».
La guerre vient de commencer. Son père instituteur à la campagne, l’enfant vit dans une maison sans confort entre son grand frère et une maman aimante mais très occupée par le petit dernier et ses lourdes tâches ménagères.
De nature espiègle, souvent punie, être envoyée à l’école, de l’autre coté de la cour, l’enchante. Assise dans le fond de l’unique classe, elle peut dévorer tous les livres à sa disposition.
«L’envie d’écrire arrivera plus tard, quand le fil de l’enfance est rompu»:
Envoyée à l’internat, établissement entre caserne et orphelinat aux conditions de vie très dures, privée des siens, la rédaction de son journal sera sa planche de salut, l’expression de ses larmes silencieuses.
La création de petites pièces comiques jouées devant d’autres élèves plus fortunées, lui feront gagner quelques sous pour subvenir à des besoins aussi élémentaires que ressemeler ses chaussures.
Mais elle ajoute «Tout le monde riait, on parlait la même langue»
Suivent les années d’après-guerre, le joug communiste.
«Hongroise puis russe» écrit-t-elle, un «sabotage national, personne n’a envie de parler russe, une génération d’ignorants qui sort des écoles»
Première étape d’une terrible souffrance qui va se poursuivre dans l’exil.
Poète déjà reconnue, fuyant son pays et l’endoctrinement «efficace surtout sur des esprits jeunes»,
son odyssée, émaillée d’épisodes tragiques, d’autres vécus avec un certain sens de la dérision, la conduit des camps de réfugiés autrichiens aux camps de réfugiés suisses.
Contrairement à toute logique, son installation définitive à Neuchâtel marquera le début d’années plus terribles encore.
Libre, mais à quel prix:
«J’ai perdu définitivement mon appartenance à un peuple»
Cette rupture déchirante s’accompagne d’années de dur travail en usine, vécues au début dans l’incompréhension de la langue française, apprise peu à peu, phonétiquement, à l’aide des signes de ses camarades d’atelier:
«Je parle le français, mais je ne le lis pas. Ma petite fille pleure quand je lui,parle hongrois».
Cependant elle a repris l’écriture.
Ses premiers succès ont lieu au bistrot du village.
Encouragée par ces débuts, elle s’inscrit au cours de langue pour étrangers.
« Je ne sais ni lire ni écrire, je suis analphabète »
Ainsi s’explique le titre de ce récit.
L’interprétation de Catherine Salviat, visage rayonnant entre ses boucles argentées, voix modulée aux intonations toujours subtiles, se déplaçant sous différents éclairages pour rythmer le récit
nous fait partager l’émotion et les douleurs de l’écrivain et souligne le rôle salvateur de l’écriture.
Dans « Album de là-bas » autre récit d’exil de Jeannine Worms dont Claire Chazal a fait de remarquables lectures toujours consultable en vidéo,
L’auteur, après avoir fui en Argentine les persécutions nazies,
évoque un retour en France révélateur d’une impossible appartenance:
«Toutes les terres de ce monde sont également terres d’exil»
Sinistres ravages tristement d’actualité.