La « découverte » de deux auteurs synonymes d’ennui soporifique soudain passionnants.
Je ne m’étendrai pas sur « Le Temps et La Chambre ».
Envolée la lourdeur des précédents spectacles.
Texte « ésotérique » construit sur des télescopages, sur la confusion, sur la relativité du temps, de l’espace, évoquant aussi les rapports amoureux, l’amitié, la solitude,
Porté par l’ensemble des comédiens, tous remarquables sans exception, dans cette mise en scène excellente, peut-être la meilleure, d’Alain Françon,
Se révèle tout en cocasserie inattendue, humour froid, situations saisissantes, émotions fortes.
Véritable galerie de personnages à la fois si proches et éloignés de toute banalité,
Dénuée de toute construction de logique apparente,
Comme enveloppé par un charme, la pièce tient en haleine deux heures durant :
Une prouesse qu’il se fallait de saluer.
Au Lucernaire,
Dans un cadre bien plus intime,
Dans un décor réduit à une simple table et deux chaises, sous un éclairage subtil,
Autre prouesse non moins remarquable :
« L’Amante Anglaise » de Margueritte Duras.
Souvenir lointain dont l’accablement demeurait vif,
Seule la présence de Judith Magre suscitait mon intérêt.
Autant vous le dire sans attendre,
Dès le début de la représentation, vous voilà captivé :
Qualifiant la pièce de: « thriller de l’esprit », telle une intrigue policière, la mise en scène de Thierry d’Harcourt vous tient en haleine sans jamais fléchir.
Point de départ de l’intrigue, un macabre fait divers : en province, près de Cahors, la découverte dans des wagons de marchandises, à l’exception de la tête, des différents morceaux d’un corps de femme assassinée au couteau.
Seuls détenteurs possibles des mobiles du crime abominable, deux protagonistes feront face successivement à l’Interrogateur obstinément à la recherche d’une « explication » justifiant ce geste atroce que rien ne laissait présager.
Malgré des efforts acharnés déployés pour percer le mystère d’un esprit « dérangé »
Ni les réponses fournies par le mari, résigné, indifférent, compagnon d’une épouse mutique et passive, considérée comme folle par son comportement inexplicable :
« Fermée à tout, ouverte à tout, rien ne restait en elle » dit-il ;
Ni l’attitude insaisissable de la meurtrière, son épouse, consciente de son geste, lucide, froide, en possession d’étranges facultés, révélant par bribes un passé illuminé d’une passion inoubliable,
N’aboutiront.
« Je cherche la bonne question »
« Où est-elle cette raison ignorée ? » se demande l’Interrogateur.
Voilà bien tout l’enjeu de la pièce
Avec l’amour pour moteur, comme l’écrit Margueritte Duras « La folie exerce sur moi une séduction ».
Pour notre bonheur, grâce à ses interprètes, la séduction s’exerce aussi sur nous.
Massif, accablé, incrédule, Jacques Frantz est un Pierre Lannes attachant, troublant par son indifférence du début qui laissera place à un aveu d’amour fou pour celle qu’il a épousé jadis.
Jean-Claude Legay met une belle énergie à vouloir comprendre l’incompréhensible, abordant sous tous les angles un problème sans solution, mis en échec, l’esprit demeurant impénétrable.
Avec cette voix reconnaissable entre toutes, ses intonations si particulières jamais convenues, ses ruptures inattendues, interprété par Judith Magre ce texte ardu prend un relief surprenant, son personnage une résonnance étonnante.
Enigmatique, déconcertante, imprévisible, troublante, agressive et vulnérable dans son interprétation l’humanité et l’étrangeté le dispute au comique et au concret, révélant des dimensions de la pièce jusque- là insaisissables.
Quelle découverte !
Irréfutable confirmation de l’importance de l’ interprétation,
Une révélation inoubliable.