Cette référence à la pièce de Cocteau s’adresse au metteur en scène, Ivo Van Hove, et à son interprète, Halina Reijn.
Créée en 1930 à La Comédie Française par Berthe Bovy, ce monologue de femme désespérée a souvent été repris.
Versions théâtrales ou « opératiques » (sur la musique de Francis Poulenc) ont donné lieu aux mises en scène les plus diverses, du mélodrame risible jusqu’à l’hystérie outrancière voulue par Krisstof Warlikowski dernièrement à l’Opéra de Paris (Lulu de mars 2018.)
Rien de tout cela dans le remarquable travail d’Van Hove et d’Halina Reijn.
Revivifié, rajeuni, reprenant chair et corps, le texte de Cocteau retrouve force, et intensité.
Déployant avec subtilité ses accents purement dramatiques, incidents de liaison téléphonique ou digressions d’ordre pratique émaillent ce pathétique récit de rupture :
Ultime conversation téléphonique entre une femme encore folle d’amour et son amant qui vient de la quitter.
Cocteau rendant invisible et silencieux l’interlocuteur au bout du fil,
Le douloureux cheminement de cet échange à une voix,
Repose sur les seules répliques de la femme.
Sur le plateau, un grand espace blanc encadré de noir.
Pas un seul élément de décor.
Un long fil électrique serpente au sol.
Musique douce, actrice absente,
Seule sa « voix » se fait entendre.
Les difficultés de la liaison téléphoniques en sont le sujet.
La communication enfin établie,
Son entrée en scène presque joyeuse,
En pantalon de jogging à bandes rouges, sweatshirt orné de Mickey, et chaussettes ciel,
A l’écoute de son amant,
Ses sautillements spontanés manifestent un bonheur retrouvé.
Rien de ridicule dans l’ensemble de la gestuelle voulue par Ivo Van Hove.
Tout y sera étudié au sceau de la spontanéité et de la sincérité la plus naturelle, la plus authentique.
Foin de l’être artificiel trop souvent représenté.
Bannie l’hystérie décriée par Lulu,
Place à la femme blessée, souffrante, aimante, désespérée, enfin suicidée.
Les lumières de Jan Versweyveld, qui signe aussi la superbe scénographie, viennent encore sublimer l’action,
Comme les silences et la musique, le son, la voix, modulés, tour à tour assourdissants ou susurrés.
L’analyse du texte par Ivo Van Hove s’appuie sur un découpage presque chirurgical
Dont l’intense efficacité dramatique du début,
Laisse place, ma seule réserve, comme à un ralentissement vers un dénouement, lui magnifiquement réalisé.
Sur fond de bruit de circulation, fenêtre ouverte,
Soudain magnifiée, longue chevelure libérée dans sa belle robe de satin bleu flottant au vent,
L’actrice, déjà étonnante de présence dramatique, émouvante, pathétique tout au long de son monologue, qu’elle embrasse une chaussure oubliée, qu’elle feigne maladroitement le courage ou qu’elle remercie l’inconstant de sa gentillesse, se heurtant à une paroi de verre, assise au bord du plateau ou debout, au fond de scène dos au public,
Saute dans le vide en un éclair de lumière suivi d’un noir absolu.
Saisissant, tragique véritablement.
Cocteau renouvelé,
Ivo Van Hove retrouvé,
Halina Reijn révélée.