Dans le confinement de l’atmosphère feutrée et élitiste d’une Public-School,
La cruauté n’épargne pas certains enseignants ;
Sous l’apparent flegme britannique,
Ici, la férocité s’exerce avec toute sa crudité.
L’anéantissement même de l’unique, ultime, modeste « miraculeux » réconfort
Précèdera une chute de tous les possibles, totalement énigmatique.
Après dix-huit ans de carrière, à la veille de son départ pour graves raisons de santé, le Professeur Andrew Crocker Harris, en a fait l’expérience.
Il n’est jamais parvenu à se faire aimer de ses élèves,
Sa femme le trompe ouvertement avec ses collègues,
Le Directeur de l’établissement exploite de façon éhontée ses talents d’organisateur,
Aucune promotion en dépit des « usages » et de ses compétences ne lui a jamais été attribuée.
Désintérêt et moqueries des élèves,
Epouse vipérine et méprisante,
Collègues condescendants,
Directeur opportuniste et sans scrupules,
Ont eu raison du brillant étudiant,
Et forgé l’apparente rigidité d’un homme blessé au plus profond.
Le portrait déchirant de cet homme brisé est magistralement interprété par Jean-Pierre Bouvier, tout en pathétique contenu, infini justesse, présence confondante.
Elégant, toujours très digne, détachement affiché, souffrances enfouies, parfaite maîtrise de soi, le comédien parvient conférer à son personnage sa tragique profondeur,
Acide, vénéneuse, mais encore séduisante, Marie Bunel est Millie Crocker Harris, épouse terrifiante, sans merci pour son époux qu’elle n’enfonce jamais assez bas, insatiable et possessive avec ses amants.
Thomas Sagols, Taplow, un élève en rattrapage, Benjamin Boyer,Frank Hunter l’amant de Madame et collègue du Professeur, Philippe Etesse, le directeur, Nikola Krminac et Pauline Devinat le jeune ménage qui prend la place des Croker Harris, composent le reste de la distribution pour créer l’univers de l’immédiate après-guerre dans une Angleterre éprouvée, à la charnière de deux époques.
Les cretonnes fanées du décor d’Edouard Laug forment un cadre parfait à la mise en scène très sensible de Patrice Kerbrat, aussi adaptateur du texte de Rattingan.
Règne sur le plateau l’accablement de l’oppressante fatalité qui poursuit le malheureux professeur,
La seule lueur d’espoir aussitôt détruite par la perfidie et sous les sarcasmes de sa femme,
Ce portrait d’homme éminemment respectable,
Dignité bafouée,
Savoir dénié,
En but aux pires rebuffades et camouflets,
Entre le « Cripure » de Louis Guilloux et le Professeur Immanuel Rath de « L’Ange Bleu » de Josef von Sterberg,
Restera pareillement gravé dans nos mémoires.
Un portrait bouleversant.
Un spectacle prenant.