Magistral pour certains.
Décevant pour d'autres.
Belle découverte déjà, cette salle éphémère où l'odeur du bois vous envahit délicieusement dès que l'on y pénètre et dans laquelle de beaux fauteuils cramoisis vous assurent un confort parfait.
Vous voilà installés pour une durée record de quatre heures vingt qui peut relever de l'exploit ou du masochisme selon les humeurs.
Ce ne sera ni l'un ni l'autre.
Ces trois pièces de Goldoni sont sublimes, cruelles, dénonciatrices et si intemporelles.
Cet auteur révolutionna la comédie italienne en la renouvelant complètement, remplaçant l'improvisation et les masques par un véritable théâtre de texte.Il mourut à Paris, oublié et dans le plus complet dénuement.
"La Trilogie" dénonce avec une telle modernité l'inconséquence fatale de personnages obsédés par le "paraître", que dans le contexte actuel ce texte prend une résonance des plus contemporaines.
Vies brisées, amours impossibles, ruines définitives, telles sont les conclusions sans appel de cette course folle à l'apparence, de cette surenchères à la dépense incontrôlée.
Voilà le mérite essentiel de la mise en scène d'Alain Françon.
Il nous donne le texte à entendre avec une limpidité et une clarté impeccable, soulignant avec subtilité et force les passages les plus aigus.
Les tableaux s'enchainent dans des décors de Jacques Gabel qui,s'ils ne sont pas réellement beaux, ménagent un découpage du plateau très réussi, ainsi que des modifications simples, merveilleuses d'invention, pour nous transporter d'une maison à l'autre sans presque aucun changement.
Ils baignent dans de très belles lumières de Joël Hourbeigtet complétés par des accessoires recherchés du meilleur effet.
Quant aux costumes de Renato Bianchi, modèles d'élégance, ils sont si réussis, qu' ont les croiraient directement sortis du Musée des Arts Décoratifs voisin .Totalement séduisants, ils allient la qualité des étoffes au rafinement des couleurs . J'y avais déjà été sensible dans "L'Ecole des Femmes" c'est encore plus spectaculaire ici.
Mes réserves: elles portent essentiellement sur une distribution fort inégale.
Voilà: quand on a vu la représentation de Giorgi Strehler, avec un Jacques Seyres en Ferdinando,réclamant son chocolat chaud d'une voix nasillarde inoubliable, on ne peut que regretter que Michel Vuillermoz soit si mal employé dans ce rôle inénarrable.
Et puis Anne Kessler, toujours aussi sautillante et agitée que dans la Mère Ubu, nous donne une Victotia trop hystérique, et si Giorgia Scalliet est meilleure, elle est loin d'une Ludmilla Michaël en jeune fille qui sacrifie à l'honneur et aux convenance son véritable amour .
Hervé Pierre est un Pilipo des plus bonhommes, et il domine avec Danièle Lebrun, idéale vieille coquette, et Bruno Raffaelli en Fulgenzio, imposant son autorité lucide et bienveillante, les autres rôles étrangement distribués: Guillaume Gallienne n'est pas ici, en Guglielmo presque emprunté, comme à son habitude, les autre sont justes mais sans cette note qui donne sa saveur particulière au personnage.
Si vous n'avez jamais vu le chef d’œuvre de Goldoni, allez au Français: la représentation a des qualités incontestables, le travail est respectable.
Pour nous les nostalgiques de Strehler il nous manque forcément cette touche inimitable et une troupe du Français irremplaçable dans la distribution de 1978.